« Bonjour,
J’avais 4 ans quand maman a commencé à être malade, juste après la naissance de mon frère, en 1954. Elle a eu une « jaunisse » après sa grossesse. Ensuite ce furent des troubles de l’équilibre, des difficultés à marcher. À l’époque, le diagnostic n’était pas facile, on a parlé de stress. Un médecin lui a même conseillé de se mettre à fumer pour se détendre. Ce qu’elle a fait. Puis elle a été hospitalisée pour des examens, entre autre une ponction lombaire très douloureuse. Et le diagnostic de sclérose en plaques est tombé, elle est donc rentrée à la maison, sans traitement, il n’y en avait pas à l’époque. (Par la suite elle a essayé tous les médicaments qui se présentaient, elle est aussi allée voir des « sorciers », a commencé une analyse, puis a tout abandonné, quand elle a accepté l’idée qu’elle était malade à vie).
Au début ma sœur et moi ne nous rendions pas bien compte, avec l’insouciance de l’enfance. Maman était maîtresse d’école, et nous allions à pied à l’école voisine. Puis un jour une copine m’a dit « Ta mère, elle marche comme un canard ! », puis « Elle est saoule, ta mère ! ». Là, les soucis ont commencé. J’ai refusé de faire le chemin de l’école à côté d’elle, je marchais loin derrière. Ce qui est stupide, tous les enfants savaient que c’était ma maman ; j’étais même dans sa classe l’année de CE 2.
On nous a prévenus assez tôt, nous trois les enfants, que maman avait une maladie grave. J’étais donc persuadée qu’elle allait mourir, et j’ai passé toute mon enfance avec cette idée.
Pendant ma période « mystique », je priais dieu tous les jours pour qu’il lui enlève sa maladie et me la donne, pour que j’aie une mère normale. Je trouve cela fou pour une petite fille. Il faut dire qu’entre mes frères et sœurs nous n’en parlions pas, chacun se débrouillait à sa manière. Quand ma sœur et moi sommes partis au lycée (on y entrait dès la 6ème), mon frère s’est retrouvé seul à faire le chemin de l’école avec maman. Elle lui donnait la main pour garder l’équilibre, il fallait donc qu’il fasse le trajet avec elle tous les jours. Puis elle a pris une canne. Il continuait à lui donner la main.
Mon père a dû prendre en charge petit à petit tout ce qu’elle ne pouvait plus faire, en plus de son travail de contrôleur de la navigation aérienne. Heureusement ils ont pu embaucher une petite bonne, pour s’occuper de mon frère. Puis ils ont toujours eu une femme de ménage. Mon père et ma mère était très sportifs, on a continué longtemps à aller à la piscine une fois par semaine. L’été nous partions camper ; mais je me souviens d’un voyage en Espagne et au Portugal d’où maman est revenue spécialement épuisée.
La maison était en général très gaie ; mes parents militaient dans des associations de quartier, des coopératives, une association familiale, et il y avait souvent des amis, des réunions. Mais parfois maman pleurait, papa était triste, ou se mettait en colère. Il est devenu d’ailleurs assez aigri en vieillissant, mais est toujours resté très amoureux de maman, et a tenu à faire le garde-malade même en vieillissant.
La vie a continué, la maladie avançait tout doucement ; après la canne il a fallu deux béquilles. Puis un jour maman a décidé qu’elle ne pouvait plus faire la classe car elle ne quittait plus son bureau, elle est devenue prof au CNED, et a exercé jusqu’à la retraite. Elle se fixait une discipline de fer malgré la fatigue, elle était devant ses copies de 8 heures à midi, et reprenait le laborieux travail de correction après une petite sieste.
Nous avons quitté la région parisienne pour la Touraine. Là, il a fallu acheter une maison de plein pied, et équipée de barres et de poignées partout. Mais les parents nous ont toujours préservés, et j’ai l’impression d’avoir eu une vie à peu près normale. La seule difficulté pour moi était de paraître en public avec elle. Je n’ai pas l’impression que mon frère et ma sœur ressentaient la même gêne.
Nous avons tous les trois quitté la maison, les études terminées. Nous nous sommes mariés, aucun de nous n’a de sclérose en plaques. J’ai deux enfants, que j’ai adoptés. Je ne suis pas tombée enceinte bien que les dépistages n’aient pas trouvé d’anomalies. Blocage psychologique, m’a-t-on dit. Peu importe : mes enfants sont magnifiques.
Tous les étés maman passait un mois dans une maison de repos, ce qui permettait à papa de faire voyages et visites qu’elle ne pouvait plus faire. Cet été là, la première nuit, alors que l’infirmière lui avait souhaité la bonne nuit, elle se lavait les dents dans sa salle de bain puisqu’elle était autonome, et la crise l’a jetée au sol, elle ne bougeait plus ni les bras ni les jambes. Elle nous a raconté ensuite qu’elle avait parlé toute la nuit, récité des poésies et chanté des chansons, de peur de perdre aussi la parole. À partir de là elle était en fauteuil roulant, mais elle a récupéré les bras.
Ils ont continué à vivre dans leur maison de Touraine ; ils se sont fait construire une piscine car l’eau a toujours été son élément favori. Une grue électrique lui permettait de descendre dans l’eau.
Puis il y a six ans, mon père est mort d’un cancer du poumon en un mois et demi. Sa maladie a été une période épouvantable, c’est maman qui essayait de s’occuper de lui, quand il était trop faible pour manger ou s’habiller. Quand je venais les voir (j’habite à 600 km) j’étais très émue de les voir s’entraider ainsi tous les deux, maman dans son fauteuil électrique, et papa marchant péniblement en s’accrochant à son dossier, traînant sa bouteille d’oxygène.
Sa mort a été terrible pour maman, elle ne voulait plus vivre. Mais la vie est plus forte, et elle est en excellente santé elle-même, si l’on peut dire. Nous avons donc installé chez elle tout un système de personnes qui l’entourent (infirmier, auxiliaire de vie, kiné, etc) et cela fonctionne. Toutes ses économies y passe, mais elle est heureuse de pouvoir rester chez elle avec tous ses souvenirs. C’est elle qui gère ce petit monde, avec l’aide de mon frère qui est le seul à habiter dans la même région, et cela lui cause parfois beaucoup de soucis. L’été nous continuons à la mettre dans l’eau, quand nous venons la voir, et elle réussit tout doucement à faire le tour du bassin en s’accrochant, et à l’aide de flotteur. Le soir après ses baignades elle dort comme un bébé.
La vie n’est pas rose pour elle, elle est même très dure, mais il y a toujours pire ! Elle a trois enfants et six petits-enfants, sa maison, beaucoup d’amis et voisins qui viennent la voir. Nous avons fêté ses 81 ans cette année. Médicalement ça se complique (escarres, sonde urinaire, mini-crises d’épilepsie qu’on a pris d’abord pour des AVC, contractures, fatigue, dépressions passagères, douleurs dans les épaules), elle est maintenant totalement assistée. Elle n’a pas un appétit féroce, mais mange beaucoup de chocolat. Elle ne veut pas grossir pour ne pas embêter son cher infirmier. Elle lit beaucoup, écoute la radio, regarde des DVD.
Je la remercie énormément ainsi que papa de nous avoir élevés sans faire peser sur nous le poids de cette souffrance. Même si notre enfance n’a pas été tout à fait ordinaire, je pense que nous sommes trois adultes équilibrés et heureux ; nous avons pu faire les études que nous souhaitions, nous sommes partis de la maison et avons pu vivre notre vie sans retenue ni culpabilité. Nos enfants aiment leur grand-mère, ont joué comme des fous quand ils étaient petits avec les fauteuils roulants. Quand elle a eu son premier fauteuil électrique, c'est mon fils, du haut des ses 6 ans à l'époque, assis sur ses genoux, qui lui a montré comment marchait la manette. Ils en ont fait des tours de jardin tous les deux. Une grand-mère à roulettes, c'est quelque chose.
Nous avons une maman vieillissante au caractère bien trempé.
La vie, quoi ! »
Par Claire, 57 ans.
❤️ Soutenez l'association Notre Sclérose ! (Exemple : un don de 20€ ne vous coûte réellement que 6,80 €).