« Bonjour,
J'ai survolé la plupart de vos témoignages et je ne ferai pas un copier coller. Si ce soir je décide de témoigner, c'est que j'ai besoin d'exprimer quelque chose que personne ne sait écouter, ni entendre, voire pire cherche à faire taire…
J'ai la SEP (sclérose en plaques) depuis 2007 et je reste convaincu que le facteur premier déclenchant les poussées est le stress… aussi bien moral que physique…
J'ai voyagé en Australie pendant deux ans et cherché à explorer, repousser les limites. J'ai ainsi cherché et obtenu un job sur un bateau de pêche.
Conscient du challenge physique et de ma volonté d'acier, j'ai volontairement évité de mentionner ma maladie au chef d'équipage… une fois embarqués, eux comme moi auraient les pieds au mur.
Étonnamment, dans cet espace réduit qu'est le bateau où cohabitaient 4 hommes, il me fut facile dans un premier temps d'effectuer en toute discrétion mes injections tous les trois jours. Passée la première semaine de travail à enchaîner les rythmes de travail décousus, à remonter une dizaine de filets par marée… la fatigue s'est accumulée.
Cependant elle restait toujours justifiable de par mon statut de novice ; alors nous continuâmes sur la deuxième semaine… ni vu ni connu.
Les rythmes décousus vous font perdre la notion du temps, la notion de fatigue. Très vite, je me pose alors la question : "Ma dernière injection, c'était hier ou avant-hier ?".
Ding-ding ! Cette petite cloche qui sonnait en moi était le rythme en trop dans cet environnement instable, ma constante dans cet inconnu. Elle devenait incompatible et ce conflit moral naissant me poussait alors à avouer à mes collègues mon handicap.
Mais je les avais trompés en toute connaissance de cause, je m'étais rendu coupable de bien pire que ma faiblesse à l'instant même où j'ai embarqué ce bateau.
La fatigue s'accumulant, il me devenait de plus en plus dur de remonter les filets en plein milieu de marée descendante et s'arrêter de tirer, renoncer… n'était pas une option possible car dans cet environnement où règnent requins et crocodiles, pas de place pour les faibles et la force du courant n'a pas de temps pour écouter vos plaintes.
J'ai trouvé cette force au fond de moi même, j'ai tiré sur ces filets à la force de ma seule volonté car je ne sentais pas à ce moment-là de réponse physique, de tension, de contact avec ce sur quoi je tirais. L'adrénaline y a sans doute été pour beaucoup.
Les liens avec les 2 autres jeunes membres d'équipage se renforçant au début de la troisième semaine et les désaccords avec le skipper du bateau aidant… j'avoue enfin la cause réelle de mes faiblesses : "I've got MS".
Dès lors, pensant bien faire, ces deux braves collègues me simplifient toutes les tâches, y compris celles que j'aurais pu réaliser.
Mon moral d'acier, ma force commencent alors à lâcher car trotte en moi et me hante cette question durant les rares instants de sommeil : "Dois-je l'avouer ou le taire à jamais ?"
Cette question ne me hante plus désormais. Je suis passé par différents caps ; le dire à tout le monde systématiquement, ne le dire à personne sauf en de rares occasions, ne pas le dire du tout et faire comme si la muette n'était pas de ce monde.
Aucune de ces méthodes ne semble fonctionner et je n'en vois, à ce jour, pas d'autres. De l’extérieur, aucun indice ne laisserait supposer que je suis atteint de sclérose en plaques. Je ne suis pas en fauteuil roulant, je n'ai pas de canne… je marche droit (et bien sûr je m'estime chanceux).
Cette maladie est silencieuse et on me dit souvent : "Ça va, tu as pas mal ?"
Je me touche le bras droit pour ressentir du bras gauche ce que je ne ressens plus du bras droit. Je ne suis ni Proust ni Zola et si je devais décrire précisément à leur manière tout ce que j'éprouve à ce moment-là… ils ne m'accorderaient guère "lecture".
"Tu te touches, tu as mal"… voilà ce qu'ils sont prêts à recevoir/concevoir, et ça n'ira jamais au-delà.
Quand je m'attarde à leur expliquer, ils tendent à la surdité, à la sclérose auditive. Cela doit gêner… Alors se taire quand tout se tait. Tout se sclérose au final. Tout devient stérile.
J'ai pensé trouver mon salut dans des "métiers" qui n'en sont pas, en m'occupant d'un jeune dyslexique. Passé le bac qu'il obtint haut la main, je me suis engagé auprès de lui comme agent artistique (de la pêche à l'art… quel grand écart).
Mais il m'a fallu cavaler dans tout Paris et les pires requins que j'ai croisés croyez-moi… ne se trouvaient pas dans les mangroves des Kimberleys. Une poussée m'a forcé à raccrocher les gants… à dire STOP.
Peut-être était-ce aussi un prétexte pour justifier un arrêt, un départ. Je l'ignore et admets qu'il y a forcément un peu des deux.
Toujours faire la part des choses.
Je lâche ce verre : Moi ou la SEP ?
Je bute sur cette marche : Moi ou la SEP ?
Je me pisse dessus : Ma dernière bière ou la SEP ?
La liste est longue et je vous invite à la continuer avec moi par la suite, pour en rire.
Moi ou la SEP ?
Cette question, je me la pose systématiquement à chaque erreur et j'ai cessé de trancher. Je ne veux pas tourner dans le tout SEP (elle a bon dos la SEP).
Cette démarche qu'on ne saurait qualifier d'intellectuelle que par ce que notre inconscient surchargé nous laisse entr’apercevoir, est une démarche qui en rajoute au handicap.
Se justifier en permanence, avoir besoin de preuves, de certificats, devoir baisser son froc en quelque sorte… comme si tout vous poussait vers le fauteuil roulant pour prouver, prouver encore que vous en avez… une SEP.
Le monde est ainsi fait.
Aujourd'hui je me suis mis à gratter la guitare de mon grand père. J'ai gratté dessus des airs composés au chevet de ma grand-mère quand je m'occupais d'elle en hospitalisation à domicile. Mais là encore l'envie se confronte à l'impossible et l'improbable. Cet accord frappé tant de fois ne vient pas, alors qu'il avait été déclenché. J'insiste encore et encore pour retrouver cet air et l'énergie du moment, me reconnecter avec ma grand-mère dans ces instants certes douloureux mais privilégiés, intimes.
À force d'essayer, mon avant-bras devenait (comme j'ai pu le lire dans vos témoignages) "en carton". J'ai donc compris qu'il était temps d'arrêter et de passer à autre chose.
Le beau temps, la famille, on profite du soleil et des belles choses. Mais le tracas inconscient, qui demandait à s'enfouir et se taire, "transpire" et je tâte alors mon bras droit sans m'en rendre compte, sorte de "dialogue" entre le valide et l'endormi :
(Main gauche) : "hey bras droit, tu dors ? Tu sens quand j'appuie là ? Tu me sens comme je te sens ?"
(Bras droit) : "heu… je sais pas trop. Quand tu me caresses ça fait bizarre, mais quand t'appuies je préfère"
(Main gauche) : "et là quand je te pince tu me sens ?"
(Bras droit) : "bof… pince plus fort pour voir ?"
Ce dialogue quasi introspectif et relevant définitivement de la dualité (gauche/droite; jour/nuit; valide/invalide;…) ne passe pas inaperçu et ce qui doit resté enfoui est invoqué et vous invite à les formuler :
Ma mère (Professeur en musique et fille de batteur professionnel) : "Tu as mal au bras ?"
Chargé de mes préoccupations ressurgissant contre mon gré et sentant l'ouverture j'évoque alors mon épisode guitare et ces accords qui ne viennent pas…
"Non, tu vas pas mettre tout sur la SEP à chaque fois… ce sont juste tes muscles qui ne sont pas habitués".
C'est sur cet épisode-là que je me suis décidé à témoigner. Je ne vous apporte aucune réponse et j'arrive avec une question (si vous avez eu le courage et la patience de me lire jusque-là).
Comment surmontez vous la colère ?
J'éprouve beaucoup de colère. Durant cette année, aux côtés de ma grand-mère, j'ai eu le temps de la regarder en face et de la comprendre… mais aujourd'hui je refuse d'admettre que je suis en colère contre moi-même. Aujourd'hui, plus que mes jambes et mes bras, c’est ma volonté qui est au plus bas.
Dois-je faire encore et encore les 12 travaux d'Astérix, aller au bout de moi-même pour prouver que j'atteins mes limites ?
Dois-je ajouter à mon portefeuille le permis d'être sclérosé en plaques aux côtés du permis de péter et du permis de ronfler ?
Je n'ai pas envie de m'enfermer dans le cercle des Sépiens et retrouver l'ambiance hôpital de jour… "corticoïdes ou bien ?…"
Mais j'ai besoin d'échanger, de collaborer, de créer, de rigoler, d'ironiser… d'ouvrir les yeux.
De vivre
»
Par Grégory.
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Tout d'abord un grand merci pour vos commentaires qui me vont droit au coeur.
Je reviens de temps à autres pour les lire et relire, surtout dans les moments de "down". Ces moments où on a l'impression que tout nous tombe dessus en même temps.
Aujourd'hui je suis en unité de Médecine physique et réadaptation, depuis bientôt 2 semaines.
La qualité de la prise en charge est sans commune mesure avec celle de l'hopital st antoine, alors j'en profite.
Seulement, je sature et je déprime aujourdhui.
On me parle d'invalidité et l'idée de perdre cette fois-ci une part importante de ma rémunération m'angoisse.
Toujours la colère et la fatigue. En arrêt maladie depuis le mois de Mai, je bataille avec la CPAM qui ne m'a versé aucune Indemnité depuis le 17 Juin.
"Voyez avec votre employeur" me disent-il ... et ils se renvoient la balle. Alors aux séances de kiné, ergo, sport, psy s'ajoute la gestion de démarches administrative qui vont forcément avoir un impact sur ma fatigue.
Manque d'empathie, suffisance, process complexes : la CPAM ne simplifie rien pour les personnes en situation de handicap, n'a que faire de votre pathologie. Peu importe si j'ai des troubles de la concentration et pertes de mémoire; peu importe mes crises d'épilepsie, au diable également la détresse et la fatigue engendrée, la dépression en veille.
J'aimerais reprendre l'écriture, enregistrer mes propres séances de méditation guidée, mais mon esprit est trop faible poir le moment.
Merci encore pour vos commentaires et à très bientôt 😊