Mon fauve.
« J'avais une vie normale. Je vivais les peines et les joies, les amours, les angoisses, les tristesses, les rires qui jalonnent toutes vies de jeunes parisiens mi-bobo, mi-prolo, à peine intello.
Ça roulait cahin-caha, mais ça allait bien.
C'était il y a deux ans.
Un matin, le sort -ce salopard- accompagné de sa petite ordure de pote, le destin, me jetèrent dans une très grande cage, m’indiquant d’un regard que c'est là qu'il me fallait passer le reste de ma vie.
Il a fallu du temps. Pour voir. Pour m’habituer au noir. Encore plus de temps pour comprendre qu'il était là.
Je l’apercevais mal, dans la pénombre, je ne distinguais ni sa taille, encore moins ses intentions. Je ne pouvais mesurer s'il était vraiment sauvage, où si sa présence me faisait vraiment courir le moindre risque.
Mais il était là : je voyais ses crocs, ses griffes, je ressentais au fond de mes tripes sa sourde respiration qui résonnait dans chacun des membres de mon corps.
Mon fauve. Ma Sclérose.
Allez, allez, allez, ça va bien se passer, non ? NON ? Bordel, pourquoi personne ne dit rien ?
Je regarde au travers des barreaux de ma cage : mes amis, ma famille sont là, restés en dehors. Et franchement ils tirent la tronche des jours daubés. J’ai beau blaguer, faire des pouet-pouet à chaque phrase, ils font la gueule.
Ma mère, comme une folle, essaie de rentrer dans la cage pour prendre ma place.
Mon frère me regarde et murmure. Je n’entends rien mais je lis sur ses lèvres. "S'il te plait, tiens !"
D’autres sont déjà en train de se barrer. Sympas les mecs, merci.
Beaucoup, aux travers des barreaux, m’encouragent.
Et il y a ceux qui ne disent rien mais qui mettent dans leur regard plus de choses que dans la plus belle des mains tendues.
Je les aime. Tous.
Pour finir, il y a de drôle de mecs, des grosses têtes, des crânes d'œuf. Tous habillés de blouses blanches. Je pense qu'ils doivent parler une forme de dialecte Tamoul car je n'y comprends rien. Mais tout ça a l'air, presque, de les faire marrer, cette histoire de cage, de pénombre, de fauve. Sales enfoirés de merde.
La bête a frappé la première.
Une morsure, violente, sur mon bras, sur ma jambe. Je morfle salement.
Je me relève à peine qu'il me met un coup de griffe à l'œil.
Je mets du temps à m’en remettre. Je me retrouve avec un faciès et un regard à la Jean-Paul Sartre : le gauche qui regarde le Sud, le droit qui matte au Nord. Puis tout revient à la normale.
Mais je doute. Fort. Et je me pose plein de questions.
Combien de temps ça va durer ? Oui, oui, je sais, toute une vie.
Qu’est ce qu’ils me restent à faire ? Tout. Et surtout me battre.
Que dois-je abandonner ? Rien. Et si ça doit m'arriver un jour, j'irais conquérir d'autres manières de vivre.
Le fauve a-t-il gagné ? Non. Je me défendrais. Je tiendrais le Fort, coûte que coûte.
C'est là qu'un crâne d'oeuf, un parmi les moins constipés, me jette par une lucarne installée entre les barreaux, un fouet.
J’ai mis du temps à savoir m’en servir. Mais depuis je dresse mon fauve.
Et, seul dans ma cage, je pense à tous les autres, dans toutes les autres cages. »
Par Armand.
❤️ Soutenez l'association Notre Sclérose ! (Exemple : un don de 20€ ne vous coûte réellement que 6,80 €).