Lettre ouverte à la sclérose en plaques (SEP) :
« Eh, tu m'entends, la SEP, espèce de morue ?
D'abord tu t'es permise d'entrer bien trop tôt dans ma vie et dans celle de mon père. J'avais 3 ans et demi quand, quasiment du jour au lendemain, on n'a plus pu jouer à chat, ni au ballon avec mon père, qui s'absentait assez souvent de la maison. Sur le coup, j'ai cru que c'était l'arrivée de ma sœur qui en était la cause (avec le recul, je me dis que les enfants ne raisonnent pas toujours si mal, cf. infra). Et puis on m'a expliqué que c'était à cause de toi si, à 31 ans, mon père ne pouvait plus courir, avait du mal à tenir, faute de sensibilité, des objets légers comme un stylo ou une brosse à dents (pas du tout électrique à l'époque, il y a une trentaine d'années). J'avais du mal à retenir ton nom, je cherchais les plaques, je visualisais des plaques d'égout bizarrement, et au fond, c'est sans doute de là que tu viens.
Beaucoup de dimanches après-midi à la Pitié (hôpital parisien), pour lui tenir compagnie et faire connaissance avec son compagnon de chambrée du moment. Tu en as emporté quelques-uns. Mon père, malgré la canne qui s'est vite avérée nécessaire, a tout fait pour t'ignorer et faire comme si de rien n'était, même quand tu le
ramenais à la Pitié pour 2 ou 3 semaines. "Papa a encore fait une rechute, mais il sera de retour bientôt". Il n'avait rien d'autre pour se défendre que le Celestene® et l'Anafranil®, autrement dit « peanuts » ; enfin si, il avait son prodigieux courage, et il t'a quand même tenu tête 12 ans durant, malgré d'horribles douleurs et de récurrentes poussées dévastatrices. Il était capable de prendre le risque, peut-être insensé, de perdre l'équilibre extrêmement précaire qui lui restait pour danser avec les moyens du bord, quand le clip de Tonton David "Peuples du monde" passait à la télé. Moi, je me tenais derrière lui, tout à la fois prête à faire parade pour l'empêcher de tomber et admirative de la liberté qu'il prenait avec la condition inhumaine que tu croyais pouvoir lui imposer, sans imaginer qu'il faisait partie des braves qui plient le moins possible. Tu n'as pas aimé ça, tu l'as emporté dans la nuit du 22 au 23 novembre 1991, sale sorcière, et je n'ai rien pu faire pour lui éviter de te suivre.
Tu m'as imposée de prendre le relais, 26 ans plus tard. Pour ma part, je vais devoir t'affronter à une époque mieux lotie et plus chanceuse, étant donné la gamme de traitements actuellement disponibles pour calmer plus ou moins radicalement l'activité du système immunitaire, en attendant de pouvoir stopper ta progression (c'est possible chez les souris, avec qui on est très très proches dans l'arbre phylogénétique, non? Ah bon). Je ne le vengerai évidemment pas ; je ne te vaincrai pas non plus, mais je vais te donner du fil à retordre, autant que faire se peut. Ne crois toutefois pas que tu décideras seule de mon destin, j'en déciderai le moment venu, de façon à t'empêcher d'aller au bout et je resterai seule juge de ce qui est acceptable et de ce qui ne l'est pas. Tu perdras la dernière bataille, et d'ici là, je reprends ma casquette de bénévole le temps qu'il faudra. Je soutiens un peu ma mère quand même, catastrophée de ton retour dans sa vie. Mentalement, j'ai mis ma sœur au vide-ordures, mais c'est elle qui a commencé en allant porter plainte contre moi pour m'interdire de voir son fils de trois ans, à cause de toi. Comme si tu étais contagieuse. Comme si d'avoir vécu douze ans sous le même toit que mon père et donc en ta compagnie ne lui avait rien appris. Il est vrai qu'elle n'a jamais eu une once d'empathie à son égard, et se moquait souvent de sa difficulté à écrire ou signer. Tu sèmes décidément la zizanie et je ne sais même pas si ça fait partie de ton job - isoler des proches et même de quelques amis, heureusement pas les plus nombreux.
Pour mieux t'ignorer, j'ai repris le boulot et le vélo quand je peux, je supporte les médocs, je vais bien finir par m'accommoder de mes doigts gourds et traversés de fourmis, de mes problèmes viscéraux même si je ne me remets toujours pas de l'humiliation de ce que tu m'imposes là. « Last but not least », comme mon père le faisait si souvent, j'éclaterai de rire aussi souvent que possible, comme si tu n'existais pas, espèce de minable.
À bon entendeur, salut. »
Par Cécile.
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Rediffusion du 09/07/2018. Lettre ouverte à la sclérose en plaques (SEP) :
« Eh, tu m'entends, la SEP, espèce de morue ?
D'abord tu t'es permise d'entrer bien trop tôt dans ma vie et dans celle de mon père. J'avais 3 ans et demi quand, quasiment du jour au lendemain, on n'a plus pu jouer à chat, ni au ballon avec mon père, qui s'absentait assez souvent de la maison. Sur le coup, j'ai cru que c'était l'arrivée de ma sœur qui en était la cause (avec le recul, je me dis que les enfants ne raisonnent pas toujours si mal, cf. infra). Et puis on m'a expliqué que c'était à cause de toi si, à 31 ans, mon père ne pouvait plus courir, avait du mal à tenir, faute de sensibilité, des objets légers comme un stylo ou une brosse à dents (pas du tout électrique à l'époque, il y a une trentaine d'années). J'avais du mal à retenir ton nom, je cherchais les plaques, je visualisais des plaques d'égout bizarrement, et au fond, c'est sans doute de là que tu viens.
Beaucoup de dimanches après-midi à la Pitié (hôpital parisien), pour lui tenir compagnie et faire connaissance avec son compagnon de chambrée du moment. Tu en as emporté quelques-uns. Mon père, malgré la canne qui s'est vite avérée nécessaire, a tout fait pour t'ignorer et faire comme si de rien n'était, même quand tu le
ramenais à la Pitié pour 2 ou 3 semaines. "Papa a encore fait une rechute, mais il sera de retour bientôt". Il n'avait rien d'autre pour se défendre que le Celestene® et l'Anafranil®, autrement dit « peanuts » ; enfin si, il avait son prodigieux courage, et il t'a quand même tenu tête 12 ans durant, malgré d'horribles douleurs et de récurrentes poussées dévastatrices. Il était capable de prendre le risque, peut-être insensé, de perdre l'équilibre extrêmement précaire qui lui restait pour danser avec les moyens du bord, quand le clip de Tonton David "Peuples du monde" passait à la télé. Moi, je me tenais derrière lui, tout à la fois prête à faire parade pour l'empêcher de tomber et admirative de la liberté qu'il prenait avec la condition inhumaine que tu croyais pouvoir lui imposer, sans imaginer qu'il faisait partie des braves qui plient le moins possible. Tu n'as pas aimé ça, tu l'as emporté dans la nuit du 22 au 23 novembre 1991, sale sorcière, et je n'ai rien pu faire pour lui éviter de te suivre.
Tu m'as imposée de prendre le relais, 26 ans plus tard. Pour ma part, je vais devoir t'affronter à une époque mieux lotie et plus chanceuse, étant donné la gamme de traitements actuellement disponibles pour calmer plus ou moins radicalement l'activité du système immunitaire, en attendant de pouvoir stopper ta progression (c'est possible chez les souris, avec qui on est très très proches dans l'arbre phylogénétique, non? Ah bon). Je ne le vengerai évidemment pas ; je ne te vaincrai pas non plus, mais je vais te donner du fil à retordre, autant que faire se peut. Ne crois toutefois pas que tu décideras seule de mon destin, j'en déciderai le moment venu, de façon à t'empêcher d'aller au bout et je resterai seule juge de ce qui est acceptable et de ce qui ne l'est pas. Tu perdras la dernière bataille, et d'ici là, je reprends ma casquette de bénévole le temps qu'il faudra. Je soutiens un peu ma mère quand même, catastrophée de ton retour dans sa vie. Mentalement, j'ai mis ma sœur au vide-ordures, mais c'est elle qui a commencé en allant porter plainte contre moi pour m'interdire de voir son fils de trois ans, à cause de toi. Comme si tu étais contagieuse. Comme si d'avoir vécu douze ans sous le même toit que mon père et donc en ta compagnie ne lui avait rien appris. Il est vrai qu'elle n'a jamais eu une once d'empathie à son égard, et se moquait souvent de sa difficulté à écrire ou signer. Tu sèmes décidément la zizanie et je ne sais même pas si ça fait partie de ton job - isoler des proches et même de quelques amis, heureusement pas les plus nombreux.
Pour mieux t'ignorer, j'ai repris le boulot et le vélo quand je peux, je supporte les médocs, je vais bien finir par m'accommoder de mes doigts gourds et traversés de fourmis, de mes problèmes viscéraux même si je ne me remets toujours pas de l'humiliation de ce que tu m'imposes là. « Last but not least », comme mon père le faisait si souvent, j'éclaterai de rire aussi souvent que possible, comme si tu n'existais pas, espèce de minable.
À bon entendeur, salut. »
Par Cécile.
❤️ Soutenez l'association Notre Sclérose ! (Exemple : un don de 20€ ne vous coûte réellement que 6,80 €).
Bon courage !