« Bonjour,
Dans cette société, la maladie quelle qu’elle soit, est malheureusement un moyen comme un autre de catégoriser, étiqueter, marginaliser.
Avec Audrey, sa force de caractère et ses profondes ressources spirituelles qui lui permettent de mener un combat admirable contre la sclérose en plaques (SEP), j'ai appris, compris, une lecture inverse du regard sur la maladie.
Pour une personne c'est le regard de son âme qui peut donner son sens à une maladie et ainsi sortir ce mot d'un carcan péjoratif. Audrey a cette approche-là de la SEP, l'apanage de ceux qui ont connu ou sont en train de connaître une épreuve. Cela consiste à prendre en considération le bon comme le mauvais devant chaque situation. Il ne s'agit pas de prendre l'un pour chasser l'autre, mais de comprendre pourquoi ces deux notions se présentent à nous et quelle essence nous pouvons tirer de tout cela.
En quoi le bon nous renforce-t-il et sur quoi le mauvais cherche à nous éclairer de nos fausses routes, nos défauts, notre routine et les enseignements qui vont avec ? Oui le pragmatisme est un don fabuleux et c'est ce que j'ai appris avec Audrey par le biais de la SEP. Je suis témoin du fait que, oui, une maladie peut aussi apporter et enrichir.
Un vent fort peut permettre à un arbre de se débarrasser des branches mortes, un nettoyage nécessaire. Et je me suis rendu compte à quel point cette maladie pouvait avoir la même fonction sur notre couple. Remplacez les branches mortes par des êtres néfastes qui n'entendent rien à cette situation et aux bouleversements inhérents à une longue maladie. Nous avons effectivement connu cette situation, la SEP tel un vent violent a fait virevolter dans les airs leur égoïsme, leurs esprits obtus, comme ces branches dénuées de vie, tandis que notre amour, lui, comme un arbre solide résistant à ces vents et regardant ces branches superflues s'en aller, prenait racine encore plus profondément. Ce vent chasse aussi les pensées parasites qui polluent notre quotidien. Il est là à chaque fois pour nous rappeler qu'il faut regarder devant, vivre, profiter, jouir des plaisirs simples de la vie. L'anecdote qui va suivre vient justement étayer mes propos.
Avec Audrey et les enfants, nous nous sommes organisé un voyage à Paris en Juillet 2015. Au départ, je culpabilisais, en me disant : « Tu exagères ! Elle ne pourra pas tenir ! ». Mais j'ai gardé le cap, pourquoi ? Parce que je refuse tout simplement que la peur d'éventuelles représailles de la maladie, enferme la femme que j'aime entre quatre murs. Vivre est la meilleure des réponses, la plus cinglante des répliques. Pour en revenir à cette histoire, j'ai voulu, à tort, prendre le métro, qui au passage est scandaleusement en retard en aménagement pour personnes handicapées. Autrement dit, beaucoup d'escaliers pour peu d’ascenseurs ! Au début, Audrey a trouvé le courage de monter les premiers escaliers, agrippée à mon bras. Quand soudain, à une station, nous nous sommes retrouvés face à une montagne de marches. On était en fin de journée caniculaire et elle me dit : « C'est trop… je ne pourrais pas… ». Alors je l'ai prise dans mes bras et l'ai emmenée jusqu'en haut. Arrivés en haut, non sans mal, un sourire radieux s'est emparé de nos visages. On venait, chacun à sa façon, chacun à son échelle, de franchir notre propre montagne.
Je me souviens être resté juché sur le haut de ces marches à contempler l'obstacle franchi et soudain, une pensée m'envahit ou plutôt une émotion. En temps normal, je n'aurai guère accordé d'importance à ces marches, elles auraient été gravies avec monotonie, coutumièrement et oubliées aussitôt la dernière marche, une fois derrière moi. Ce moment de la journée a été le plus beau, le plus intense pourtant pas avare en beaux moments. Que faut-il retenir de tout cela ? Ce bonheur ressenti après cet épisode vient du fait de lui avoir évité cet obstacle mais chez Audrey, il venait du fait de s'être sentie entourée, soutenue. Alors qu'on venait de monter sur l'Arc de Triomphe, qu'on venait de se balader sur les Champs-Élysées, les beaux moments d'une vie, ne sont pas toujours là où on les attend. Chaque détail d'une journée peut se révéler être un trésor inestimable, un des enseignements majeurs cités plus haut. Le combat d'Audrey a considérablement changé mon regard sur le monde. Toutes ces choses, auxquelles on ne prêtait pas attention avant, s'offrent à nous comme autant de sources de bonheur.
Ma vie avant Audrey n'était qu'une toile blanche avec le cours de la vie timidement dessiné en de fins traits noirs. Cette rencontre avec Audrey et celle improbable avec la SEP, ont été les coups de pinceaux, les couleurs, les nuances pour donner du relief à ma vie, à la manière des impressionnistes. Et quelle est la particularité de l'impressionnisme ? Accentuer les détails en y transposant une émotion particulière. Notre vie à tous les deux est ainsi faite, vivre chaque moment d'une journée, chaque détail avec intensité.
J'insiste beaucoup sur cette notion de détail, qu'est ce que cette valorisation du détail ?
Je me rappelle cette balade en forêt un dimanche après-midi, je la poussais sur son fauteuil et puis nos regards se sont posés sur un chêne majestueux. Car voyez-vous dans ces moments-là, un chêne n'est plus un simple élément visuel parmi tant d'autres dans une forêt, il devient le réceptacle d'un amour profond, le témoin privilégié d'une unité dans l'épreuve, un refuge sur la route de la maladie, et ses branches bien que coupées par une tempête s'élèvent dans le ciel, semblent nous dire « Vous voyez, malgré ce qui s'est abattu sur nous, on est là et notre regard se porte en haut vers le ciel et non vers le sol », comme pour nous montrer la direction à suivre, toujours plus haut.
La SEP comme « camarade de route » à Audrey directement, moi indirectement, ça vous change un chêne, un vrai seigneur de la forêt qu'il devient, seigneur d'un royaume où la maladie n'est que subalterne. La hiérarchie est respectée, à la fin se sont toujours les plus belles choses qui sont au-dessus de nous, alors on lève la tête, on savoure, on se serre fort l'un contre l'autre et l'on se pose une question fondamentale. Aurait-on eu cette intensité dans l'amour sans cette épreuve ? Aurions-nous développé autant de sensibilité, d'ouverture d'esprit sans elle ?
L'important n'est pas la réponse, mais bel et bien de se poser la question. Car Audrey m'a appris que la douleur dans cette épreuve n'est point une finalité mais un long chemin sinueux nous amenant à d'autres perspectives, regards, recoins de notre esprit qu'il aurait été impossible d'explorer sans être face à cette épreuve. »
Par Fabien.
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Bravo pour ce très beau témoignage et cette belle déclaration à votre Audrey.
On est beaucoup plus fort à 2, entourés, et via une philosophie de vie positive que vous décrivez très bien au travers de ce texte...
Je suis un peu comme vous, à me dire que même si c'est dur parfois, la vie aurait sans doute une autre couleur sans la SEP, elle serait sans doute plus simple mais moins intense. C'est ce que j'essaie de partager au travers de mon blog aussi avec d'autres et au jour le jour avec ma moitié.
Je vous souhaite à tous les 2 tout le bonheur du monde et que les obstacles soient les plus doux possibles.
Audrey