« Du temps où j'étais maladroite…
Avant j'étais maladroite, rien ne tenait dans mes mains… Et qu'est ce que je ratais comme marche ! J'en avais parlé à mon médecin mais il n'existe pas de "traitement contre la maladresse"…Évidemment… Je passais mon temps à prévoir mes mouvements, à anticiper mes gestes… Mais ça n'a rien changé.
Les fourmillements dans mes jambes ? Mauvaise circulation sanguine… Fatigue ? Je suis une jeune maman après tout, ça fatigue un enfant. Ça aurait pu encore durer longtemps…
Oui mais voilà dans le collège où je travaille, il y a une de mes collègues qui a une fille qui a la SEP (sclérose en plaques), elle en parle souvent, c'est dur pour elle, ça lui fait du bien d'en parler un peu…
Moi, je marche de plus en plus difficilement, je suis même tombée avec ma fille… ça va mal, je le sais. J'en parle donc à ma collègue "Dis-moi, ta fille, sa SEP, ça a commencé comment ?…" Je lui explique brièvement, moi aussi j'ai les mêmes symptômes. Elle me dit d'aller voir mon médecin, j'attends encore… après tout, ça finit toujours par se passer.
Sauf que cette fois ça ne se passe pas. Un soir de réunion, je n'arrive pas à revenir à ma voiture, c'est une collègue qui me ramène. Je vais chez le médecin (j'en ai changé entre temps) et il est très attentif à mes problèmes, il me donne un traitement et me dit de revenir dans 3 jours si cela ne s'améliore pas… Je vais voir sur internet je tape dans le moteur de recherche "sclérose en plaques" : ce que je lis, c'est ce que je vis... Tous les symptômes je les ai ou je les ai eu… Ou presque ! Je retourne voir le médecin et c'est moi qui lance la torpille "Ça peut être une SEP ?". Il me regarde bizarrement et me dit : "Oui ça peut être ça, ou autre chose... Mais il faut aller aux urgences demain…". Mon mari pense que je me fais des idées, que je vais ressortir très vite et j'avoue que moi aussi.
Aux urgences, c'est assez étrange, on me fait un tas d'examens, sans chaleur, on rentre, on dit "suspicion de SEP !", on repart, on pense que je ne comprends rien. Une jeune infirmière vient me faire un test de grossesse "Si ça se trouve, vous êtes juste enceinte…" .J'avoue que sur le coup j'ai envie de lui faire avaler sa seringue mais je suis bien élevée et ça ne se fait pas. Alors je dis gentiment : "J'ai un autre avis sur la question" Elle me répond avec la voix qu'on doit prendre pour parler aux attardés mentaux "Vous pensez avoir quoi ? ", "Une SEP". La réponse est à mourir de rire "Ne parlez pas de malheur ! C'est vraiment une saloperie de maladie !
Oui en effet… Avec le recul, on est d'accord, elle et moi…
On appelle un neurologue… "Suspicion de sclérose en plaques !" On me met dans le couloir , un autre maladroit, qui lui non plus, ne tient pas beaucoup sur ses jambes échoue sur mon brancard. Un médecin passe par là "Attention Monsieur, vous allez faire peur à la demoiselle (c'est moi,la demoiselle) ! Allez boire un café cela vous fera du bien! Après on va vous recoudre!" Le médecin me sourit et me demande ce que je lis… Je lui réponds "Je ne lis pas, je fais semblant pour me donner une contenance, surtout ne le dites à personne…" Il rit franchement. Ouf je suis un être humain. On discute un peu entre humains.
Mais voilà qu'arrive la neurologue, elle me dit être chef du service de neurologie où quelque chose comme ça (je ne suis pas sure que ce soit bon signe) elle me fait faire un tas de tests, je suppose que ce sont les examens où j'ai été le plus nulle… Je m'en excuse, c'est vrai, je suis maladroite… Elle me répond que la maladresse n'a rien à voir là-dedans (tiens donc !) On va m'emmener en neurologie, je vais avoir des examens, non je ne ressortirai pas demain, ni après-demain… Elle ne sait pas quand… Peut-être dans une semaine… On m'y emmène en fauteuil, je suis en petite culotte sur un fauteuil roulant avec une vieille couverture sur mes genoux et l’on parle de moi à la troisième personne, c'est sûr, ce coup-ci, je suis bien malade !
On me met dans une petite chambre et c'est là qu'enfin je peux ouvrir les vannes… Je pleure dans les toilettes longuement… Puis je me ressaisis, j'essuie mes yeux avec du papier toilettes un peu trop rêches et je m'assieds sur le fauteuil. C'est à ce moment-là que rentre un ange, un petit ange en blanc pas très sûr de lui (j'apprendrais plus tard que mon ange est élève infirmière). Elle parle doucement, calmement, elle a l'intelligence de ne pas me demander comment je vais. Ce n'est pas tant ce qu'elle dit qui est important mais la façon dont elle parle, il y a des gens qui savent trouver le ton juste.
Plus tard j'aurais une voisine, un peu trop "groseille" à mon goût mais plutôt gentille finalement. Je passe mon temps à la rassurer et à lui expliquer ce qu'on dit les médecins. Dommage qu'elle ait une famille si envahissante et manquant autant de savoir vivre. Ma meilleure amie vient me voir tous les jours. On boit des thés dans le couloir, on parle de tout et de rien… C'est long ! Mon mari vient me voir dès qu'il peut : on reste allongés sur mon lit pendant des heures à parler, un peu comme au début de notre relation, sauf que c'est moins rock and roll… pour le meilleur et pour le pire… Il y a aussi les visites de ma juju, elle a 15 mois ma princesse, elle ne comprend pas pourquoi sa maman n'est pas là, pourquoi elle vient la voir dans une salle d'attente d'un grand bâtiment bruyant, ni pourquoi sa maman a pleuré la dernière fois qu'elle est partie…
Dans le service, les infirmières sont agréables et attentives, j'enchaîne les examens, IRM, ponction lombaire… Après une bonne semaine, un neurologue vient me voir, il tourne autour du pot, puis nous annonce que j'ai une SEP. Je pense "j'avais raison!" je suis presque contente… D'abord parce que j'aime avoir raison et parce qu'enfin je peux expliquer un certain nombre de choses… C'est mon mari qui est le plus affecté, c'est en le regardant que je comprends que cette fois il aurait mieux valu que j'ai tort… C'est aussi lui qui demande la permission de sortir le week-end et de faire le traitement le lundi parce que j"'ai eu une dure semaine"… Réponse du neurologue "Une dure semaine ? Pourquoi ?" Si l'on entendait ce genre de réponse dans « Urgences », on dirait "Tout de même ils charrient à la télé…" Mais mon neurologue n'a rien à voir avec George Clooney…
Voilà ça fait un an et demi que je ne suis plus maladroite, je suis malade… J'ai la sclérose en plaques et j'ai fait 3 poussées ces derniers 18 mois. C'est drôle cette phrase me fait penser à "Bonjour je m'appelle Isabelle et j'ai une sclérose en plaques". Sauf que dire cette phrase pour moi ce n'est pas le début de la guérison.
Je suis jeune (enfin encore jeune... 34 c'est encore jeune non?) , je plaisante, je travaille (on a adapté un peu mon "poste"), je conduis ma voiture, j'ai une vie sociale, un mari, une petite fille, mais parfois je marche comme mon maladroit des Urgences ou je ne marche plus… Quelquefois tout devient compliqué, dur, inaccessible…
Je me fais une piqûre d'interféron chaque semaine et les après-midis shoppings ne font plus partie de mes passe-temps favoris… Mais je regarde le monde et les autres différemment, j'essaie de moins juger, je suis moins cynique, plus humaine je crois… C'est bête à dire mais si je devais faire le compte de ce que j'ai perdu et de ce que j'ai gagné je crois que j'ai plutôt un crédit… pour l'instant.
C'est quelquefois dur, c'est vrai, pour moi, pour mon entourage… car c'est toujours avec ceux qu'on aime qu'on est le plus dur, on ne triche pas… Je ne suis pas toujours facile (mais est ce que je l'étais avant ? lol) mais ma vie ne s'est pas arrêtée, elle a pris un nouveau départ
J'ai été longue ! Merci de m'avoir lu… (je parle toujours un peu trop, il paraît, et j'écris aussi trop longuement…) »
Par Isa.
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