Sclérose en plaques : trois mots qui claquent, trois mots qui assomment, trois mots qui brisent...
Cette saleté de maladie m'a choisie -je ne lui avais strictement rien demandé, je vous assure- voici bientôt 25 ans ; depuis elle ne m'a plus quittée… Ça me fait d'ailleurs penser à la chanson de Johnny Hallyday /Ma gueule, /lorsqu'il dit /Au moins elle est fidèle/… Ma sclérose en plaques m'est malheureusement fidèle alors qu'en ce qui me concerne, je n'aspire qu'à une infidélité définitive.
Difficile de rester forte face à cette "saloperie" qui n'a qu'une idée en tête : m’amoindrir petit à petit d'autant que, tant qu'à faire, au lieu d'avoir la forme par poussées qui permet, parfois -je dis bien "parfois"-, de récupérer entre les assauts de la maladie, j'ai la forme progressive, autrement dit "lentement mais sûrement"… Le "lentement" ne me dérangerait pas trop s'il n'y avait le "sûrement" avec son lot de sournoiseries : toujours des petits "plus"… qui font que tu peux le moins... De moins en moins… Et entre chaque dégradation, pas d'autre choix que de "s'habituer" à ce nouveau palier : ce qui semble insurmontable à un moment finit (souvent ? toujours ?) par être dépassé et chaque fois je me dis que je n'aurais jamais dû me plaindre du palier précédent puisqu'il n'était "rien" en comparaison de ce qui est arrivé par la suite…
Dur dur de s’habituer, encore que le mot soit mal choisi, peut-on jamais s’habituer à ce genre de chose ? On doit "juste" faire avec… Non pas "accepter" ! Oh que non ! Jamais je n’accepterai cette saleté qui bousille ma vie. Je n’avais pourtant pas d’ambition démesurée… mais même une vie "normale" m’est refusée… Les "gens" disent souvent que je suis courageuse : ça m’énerve car point de courage, la "survie", simplement ! Pas d'autre choix. Je ne vais quand même pas me terrer en attendant… que ça ne passe de toute façon pas !
Le travail : encore une question de survie pour moi. Indépendamment de l'aspect financier, je VEUX continuer à enseigner : les jambes sont malades, la tête fonctionne encore, merci. Peut-être est-ce parce que, quand j’enseigne ("mes roues "dans le fond de la classe, assise sur le banc du prof pour "dominer" la situation… bref tout simplement pour ne pas être trop petite assise sur une chaise…), je ne ressens pas mon handicap. Non pas que je l’oublie… C’est fini ce temps-là, il n’y a que lorsque je dors que je l’oublie, et encore, même si parfois dans mes rêves, je marche ou je cours, souvent le handicap est aussi présent là… là aussi… Bref, continuer à aller de l’avant… c’est le cas de le dire quand il devient difficile de faire quelques pas sans appui. Ironie qui permet d’alléger, de se décharger, de faire comme si… Comme quand on me demande à l’école si ça va et que je réponds "ça roule"… Relation amour-haine vis-à-vis de cette chaise "roulante" : amour car que serais-je maintenant sans elle ? Que deviendrais-je ? Un légume qui finirait pas mourir dans son jardin ? Elle me sauve en roulant pour moi. Heureusement que les bras ont gardé leur force… Haine parce qu’elle est là comme une trace définitive de ce que je suis devenue.
La première fois que je suis allée à l’école avec la chaise, quel nœud au creux du ventre : une reconnaissance "officielle" du fait qu’elle me devenait indispensable. J’avais espéré, naïvement, qu’elle resterait temporaire mais le temporaire s’est vite mué en définitif… Peur… Peur parce que je me demande jusqu’où la maladie va m’entraîner… Y aura-t-il un point de non-retour ? Et qu’on ne vienne pas me dire (même si les gens bien intentionnés le font, peut-être parce qu’ils ne savent pas quoi dire, peut-être parce que je leur fais peur…) que la science progresse et qu’un jour… Mise au point : la science progresse effectivement dans le traitement de la forme par poussées, c’est vrai, c’est indéniable même si l’on est encore loin d’une éventuelle guérison. Mais on n’a rien, strictement rien pour les formes progressives. J’imagine qu’un jour, on trouvera quelque chose mais je ne me fais guère d’illusions : ce sera trop tard pour moi. Impossible de faire marche arrière. Ce qui a été détruit restera détruit. Inutile de me bercer de "peut-être" qui ne réussiront qu’à endormir ma vigilance… ou plutôt devrais-je dire ma rage ? Car je connais des moments où j’enrage véritablement, où j’ai envie de hurler à l’injustice. Pourquoi moi ? Mais c’est ridicule de se dire ce genre de chose car toute personne qui souffre se demande pourquoi elle plutôt qu’une autre… Ne sait-on pas que les malheurs n’arrivent toujours qu’aux autres jusqu’au jour où… Difficile alors de continuer à voir le soleil et pourtant, parfois, les rayons réussissent à percer les nuages…
Par Pascale, 42 ans, professeur de français, sclérose en plaques depuis 1983, Belgique.
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Rediffusion du 22/01/2008. Sclérose en plaques : trois mots qui claquent, trois mots qui assomment, trois mots qui brisent...
Cette saleté de maladie m'a choisie -je ne lui avais strictement rien demandé, je vous assure- voici bientôt 25 ans ; depuis elle ne m'a plus quittée… Ça me fait d'ailleurs penser à la chanson de Johnny Hallyday /Ma gueule, /lorsqu'il dit /Au moins elle est fidèle/… Ma sclérose en plaques m'est malheureusement fidèle alors qu'en ce qui me concerne, je n'aspire qu'à une infidélité définitive.
Difficile de rester forte face à cette "saloperie" qui n'a qu'une idée en tête : m’amoindrir petit à petit d'autant que, tant qu'à faire, au lieu d'avoir la forme par poussées qui permet, parfois -je dis bien "parfois"-, de récupérer entre les assauts de la maladie, j'ai la forme progressive, autrement dit "lentement mais sûrement"… Le "lentement" ne me dérangerait pas trop s'il n'y avait le "sûrement" avec son lot de sournoiseries : toujours des petits "plus"… qui font que tu peux le moins... De moins en moins… Et entre chaque dégradation, pas d'autre choix que de "s'habituer" à ce nouveau palier : ce qui semble insurmontable à un moment finit (souvent ? toujours ?) par être dépassé et chaque fois je me dis que je n'aurais jamais dû me plaindre du palier précédent puisqu'il n'était "rien" en comparaison de ce qui est arrivé par la suite…
Dur dur de s’habituer, encore que le mot soit mal choisi, peut-on jamais s’habituer à ce genre de chose ? On doit "juste" faire avec… Non pas "accepter" ! Oh que non ! Jamais je n’accepterai cette saleté qui bousille ma vie. Je n’avais pourtant pas d’ambition démesurée… mais même une vie "normale" m’est refusée… Les "gens" disent souvent que je suis courageuse : ça m’énerve car point de courage, la "survie", simplement ! Pas d'autre choix. Je ne vais quand même pas me terrer en attendant… que ça ne passe de toute façon pas !
Le travail : encore une question de survie pour moi. Indépendamment de l'aspect financier, je VEUX continuer à enseigner : les jambes sont malades, la tête fonctionne encore, merci. Peut-être est-ce parce que, quand j’enseigne ("mes roues "dans le fond de la classe, assise sur le banc du prof pour "dominer" la situation… bref tout simplement pour ne pas être trop petite assise sur une chaise…), je ne ressens pas mon handicap. Non pas que je l’oublie… C’est fini ce temps-là, il n’y a que lorsque je dors que je l’oublie, et encore, même si parfois dans mes rêves, je marche ou je cours, souvent le handicap est aussi présent là… là aussi… Bref, continuer à aller de l’avant… c’est le cas de le dire quand il devient difficile de faire quelques pas sans appui. Ironie qui permet d’alléger, de se décharger, de faire comme si… Comme quand on me demande à l’école si ça va et que je réponds "ça roule"… Relation amour-haine vis-à-vis de cette chaise "roulante" : amour car que serais-je maintenant sans elle ? Que deviendrais-je ? Un légume qui finirait pas mourir dans son jardin ? Elle me sauve en roulant pour moi. Heureusement que les bras ont gardé leur force… Haine parce qu’elle est là comme une trace définitive de ce que je suis devenue.
La première fois que je suis allée à l’école avec la chaise, quel nœud au creux du ventre : une reconnaissance "officielle" du fait qu’elle me devenait indispensable. J’avais espéré, naïvement, qu’elle resterait temporaire mais le temporaire s’est vite mué en définitif… Peur… Peur parce que je me demande jusqu’où la maladie va m’entraîner… Y aura-t-il un point de non-retour ? Et qu’on ne vienne pas me dire (même si les gens bien intentionnés le font, peut-être parce qu’ils ne savent pas quoi dire, peut-être parce que je leur fais peur…) que la science progresse et qu’un jour… Mise au point : la science progresse effectivement dans le traitement de la forme par poussées, c’est vrai, c’est indéniable même si l’on est encore loin d’une éventuelle guérison. Mais on n’a rien, strictement rien pour les formes progressives. J’imagine qu’un jour, on trouvera quelque chose mais je ne me fais guère d’illusions : ce sera trop tard pour moi. Impossible de faire marche arrière. Ce qui a été détruit restera détruit. Inutile de me bercer de "peut-être" qui ne réussiront qu’à endormir ma vigilance… ou plutôt devrais-je dire ma rage ? Car je connais des moments où j’enrage véritablement, où j’ai envie de hurler à l’injustice. Pourquoi moi ? Mais c’est ridicule de se dire ce genre de chose car toute personne qui souffre se demande pourquoi elle plutôt qu’une autre… Ne sait-on pas que les malheurs n’arrivent toujours qu’aux autres jusqu’au jour où… Difficile alors de continuer à voir le soleil et pourtant, parfois, les rayons réussissent à percer les nuages…
Par Pascale, 42 ans, professeur de français, sclérose en plaques depuis 1983, Belgique.
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