« Bonjour,
J'ai récemment découvert votre page internet et souhaite partager pour me libérer de certaines frustrations liées à la maladie.
La maladie est là, elle nous limite plus ou moins chaque jour. Le handicap de l'autre est toujours pire que le notre ; on relativise, on essaye de s'en convaincre tout du moins.
Le patient atteint de sclérose en plaques : un apprenti stoïcien ?
Il y a d'un côté ce qui dépend de nous : ce qu'on s’autorise à faire, ce qu'on s'interdit de faire, ce qu'on a toujours pensé ne pas être capable de faire. Bref, les limites que l'on se fixe arbitrairement comme inconsciemment. On perd tellement le contrôle sur certaines choses que l'on a ce besoin de retrouver une certaine forme de liberté. Reprendre la maîtrise de ce corps différent, de ce corps qui nous limite injustement. Opposer tout d'abord au "Je ne peux pas" au "Je peux autrement"... au "Je peux" par extension.
Lutter contre la maladie est un combat personnel pour se rassurer, ne pas se contenter d'accepter cette image de nous que nous renvoie notre corps à de multiples occasions.
J'ai d'abord, comme bon nombre de patients atteints de sclérose en plaques, dû affronter le regard de l'autre au travail alors que les premiers symptômes faisaient surface. Sans diagnostic, sans reconnaissance scientifique, sans preuves rationnelles, impossible de faire valoir mes justifications subjectives. Impossibilité de prouver quand on ignore ce qui ne vas pas. Au fond de soi, on sait que quelque chose ne tourne pas rond ; mais sans soutien médical, en plus de la souffrance et de l'inquiétude générée par les symptômes, on doit répondre d'attaques personnelles sur nos valeurs morales.
Oui, sans diagnostic, on doit répondre personnellement de notre fainéantise. D'apparence en effet, aux premiers stades de la maladie, rien ne distingue une main valide d'une main "gauche" voire maladroite. Rien ne distingue le boiteux feinteur du "Scléroplaqué". On nous pousse dans nos retranchements, nous force à produire ce que nous rêverions de pouvoir produire, un peu à la manière de l'héroïne de "kill bill" s'échappant d'un hôpital et demandant à son orteil de bouger.
Il s'agit bien sûr d'une fiction. Dans la réalité, le "scléroplaqué" parle de ses membres comme s'ils étaient extérieurs à lui. "C'est pas moi, c'est ma main".
Alors on se force pour répondre aux attentes de l'autre. Mais dans la réalité on s'épuise moralement car de toute évidence, cette main qui nous fait défaut ne répondra plus aux ordres de notre cerveau ; plus comme avant.
En société, le malaise nait également. Couper un steak devient un challenge quand la pression de l'index sur le couteau ne suffit plus ; et si cela fait bien rire de voir quelqu'un lâcher son verre et ne s'en rendre compte qu'au son des bris de verre, ces rires nourrissent notre capital frustration, notre rejet. "Je ne suis pas maladroit", je ne suis plus tout à fait moi dans l'extériorisation de mon "moi" ; je suis pourtant bien là et dois répondre d'un autre, de ce nouveau "moi" que je rejette, que je n'accepte pas.
Accepter après le diagnostic. Accepter qu'un jour l'on puisse perdre un peu plus de nos facultés. Avoir conscience que certains symptômes peuvent régresser et pourtant vivre pendant plusieurs mois comme si cette faculté allait disparaître à jamais.
Ainsi quand j'ai perdu le sens du goût, j'ai commencé mon deuil, me suis fait une nouvelle raison. Je me suis fait à l'idée que, comme pour ma main droite, je devrais m'y faire ; que je devrais désormais manger sans goût. La sclérose en plaques est un "mini-deuil" permanent fait de poussées et de rémissions. Ce deuil est obligatoire. De la même façon que les parents d'un enfant disparu ont besoin de savoir leur enfant mort, de faire leur deuil plutôt que de souffrir éternellement en imaginant, en espérant leur enfant vivant quelque part par là... À chaque poussée on attend les signes d'une rémission ; et ayant attendu plusieurs mois avant de finalement retrouver le goût, ces temps d'attente peuvent paraitre bien longs (le mini deuil s'impose naturellement avec le temps).
Combattre ensuite.
Parti vivre en Australie, plutôt que de me focaliser sur ce que je ne pouvais plus faire comme avant, plutôt que de me borner à vouloir dépasser des limites antérieures, j'ai cherché les métiers qui pour moi me semblaient les plus durs. J'ai ainsi travaillé comme pécheur sur un bateau de pèche commerciale. Coupé du reste du monde pendant 1 mois et demi, j'ai pu me confronter à mes limites. J'ai pu travailler de longues heures durant avec pour seul horaire celui des marées. J'ai pu atteindre des limites physiques que j'ai surpassées car je n'avais pas d'autre choix. J'ai donc pris goût aux défis en réalisant qu'ils auraient un rôle moteur dans ma vie. Ces défis en Australie m'ont appris à "Faire autrement" plutôt que de penser que "Je ne peux pas comme avant".
Sur ma route j'ai rencontré bon nombre d'obstacles. J'ai découvert qu'en plus de ce que je ne pouvais plus faire, je devrais désormais dépendre de ce que l'on m'autorise à faire ou non. "Vous ne pouvez pas".
Ce jugement arbitraire qui vous limite. C'est décidé monsieur, vous ne pouvez pas. Point barre, débrouillez-vous de ce "non" vertement réfléchi, contentez-vous de vous faire une raison parmi tant d'autres à venir.
J'ai récemment entrepris des démarches pour pouvoir sauter en parachute. J'ai effectué la visite médicale nécessaire, et l'évocation de ma sclérose en plaques a changé toute la suite de l'entretien. J'ai expliqué au médecin ma démarche, mes attentes, mes objectifs.
Pour moi c'était bien clair. Le parachutisme comme finalité, comme nouveau défi : une limite jamais explorée. Bref : refus catégorique de la part de la fédération après quelques semaines.
Si nous perdons la maîtrise de notre corps, en revanche nous ne perdrons jamais l'espoir d'en retrouver la pleine possession. Ainsi cette limite a cette liberté : il nous est encore permis d'espérer.
Ce jugement arbitraire qui consiste à fermer net tout débat, à étouffer tout espoir, à sceller une porte à jamais, est vécu comme si l'on vous coupait votre dernière jambe valide. On vous établit une limite de référence que vous n'aurez jamais l'occasion de dépasser, si basse soit elle.
Je me fais aujourd'hui à l'idée que si je veux vivre librement, je devrai accepter de mentir (et par la même me mettre en danger vis-à-vis des assurances). Je refuse déjà mes propres limites et dois redécouvrir mon corps... et on voudrait me fixer des limites supplémentaires ? Dur à accepter.
Peut-être aurez-vous une solution ? »
Par Grégory.
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