J'ai une sclérose en plaques,… Oui, et ?
« Bonjour,
Amélie, 32 ans, maman et atteinte de sclérose en plaques.
En 2018, j'ai 27 ans, je viens de finir mes études et j'enchaine les petits boulots. Je suis caissière pour une grande enseigne d'ameublement. J'ai le nez sur un ordinateur toute la journée. Et un matin, je me réveille avec l'œil droit endolori, comme si je m'étais frappée pendant la nuit. Je ne m'inquiète pas. J'ai un voile blanc sur l'oeil, essentiellement quand je regarde une source de lumière et l'impression d'une vue trouble. J'attends quelques jours, ça ne passe pas. Je regarde si je peux avoir un rendez-vous chez l'ophtalmologue… Pas avant plusieurs mois. J’abandonne. Ça met des semaines, mais ça passe, puis revient quelques mois après… Ça repart à nouveau.
J'ai souvent mal au dos. On me dit que ça vient de ma petite scoliose. Je change plusieurs fois de boulot. Puis, je trouve un CDI dans le commerce, rayon peinture et décoration. Nous sommes en 2019. Ça se passe bien, c'est mon métier de formation, la vente de peinture. C'est même facile pour moi, avant je travaillais avec des pros et des produits bien plus techniques.
6 mois plus tard, en fin d'année, j'ai de nouveau très très mal au dos. Puis ma jambe droite fait des siennes. Elle me brûle, perd en force. J'ai l'impression d'une mauvaise circulation. Je boite et je n'arrive plus à mettre en rayon des fûts quasi aussi lourds que moi, alors que je l'ai toujours fait sans soucis malgré mon petit gabarit (1m 54 et 48 kg). Mais là, vraiment, j'ai trop mal et ça ne passe pas. Je ne suis pas douillette et j'ai appris à m'oublier depuis petite : Mon frère a un diabète de type 1 depuis l’enfance, j'ai donc compris que mes petits maux n'étaient rien et qu'il ne fallait pas se plaindre, il y a bien pire.
Je décide quand même de consulter. Le médecin fait un test du « touche, pique » quand je lui explique que je ne sens plus rien au niveau de ma jambe droite. Je suis littéralement coupée en deux. Le test le confirme, j'ai tout faux. La seule chose que je sens c'est une brûlure immense, comme si ma jambe était dans un bain d'huile. Je ne dors plus tant j'ai mal et tant j'ai des impatiences dans les jambes la nuit. On m'arrête une semaine, avec comme motif une cruralgie (inflammation du nerf crural). Probablement un faux mouvement au travail.
Je vais chez le kiné et on m'envoie passer une IRM du bassin et des jambes qui se révèle parfaitement normale. Ça va mettre plusieurs mois à revenir à la normale. Et ça reviendra, régulièrement, tous les deux mois en moyenne. On me renvoie chez le kiné.
Entre-temps la Covid arrive. Mon collègue est en arrêt longue durée, les deux autres font un abandon de poste. Le magasin passe en mode drive et je croule sous les commandes, seule pour 3 postes, alors que les Français confinés se découvrent une passion pour le bricolage. Je craque plusieurs fois, j'ai mal, je finis en pleurs à mettre des coups de poings dans des sacs de colle à carrelage.
6 mois passent, je suis toujours seule, j'ai toujours des périodes où ces douleurs reviennent et où on m'envoie chez le kiné. À tel point que ce dernier me prend dans la journée quand je l'appelle, tellement il est désolé pour moi.
J'ai de nouveau un halo quand je regarde une source de lumière, mais sans douleurs associées. Je pense que ce sont les restes de ces douleurs que j'avais eues en 2018. Il faut dire que je n'y prêtais pas trop attention. Je finis par trouver un cabinet d'ophtalmologie qui me prend vite, car mes lunettes commencent à dater. Au rendez-vous, l'ophtalmologue me dit que j'ai une uvéite (inflammation à l'intérieur de l’œil). Elle me donne des gouttes à base de corticoïdes et me dit qu'elle ne refera pas mes lunettes tant que ce ne sera pas parti. « On se revoit dans 15 jours ». J'y retourne, l'uvéite est toujours-là. Elle me refait une ordonnance pour mes lunettes, mais me dit que j'ai probablement une maladie.
Elle enclenche le mode « Dr.House » : « Vous allez me faire une sérologie syphilis, VIH, ainsi qu'une radio des poumons. Vous allez également me faire une prise de sang à la recherche de certains gènes. Je pense que vous avez soit la syphilis, soit une sarcoïdose, soit, et c'est la plus probable, une spondylarthrite ankylosante. Bonne journée ».
Ah… Je m'exécute. Rien aux poumons, les sérologies sont négatives, je n'ai pas le fameux gène HLA B27 de la spondylarthrite. On m'envoie en médecine interne.
Un rendez-vous, expéditif : « Cas non expliqué, ça arrive dans 5% des uvéites ». On en restera là.
Les douleurs habituelles au dos sont là, j'ai également l’impression, quand je marche, que mes chevilles deviennent dures et que mon pied et mon mollet ne forment plus qu'un.
Au travail, toujours compliqué, une collègue que j'aime bien vient en renfort, on discute de mes soucis aux yeux, elle évoque le cas de sa nièce qui habite juste en face de chez moi et qui en est atteinte… Je ne dis rien mais cette maladie, j'y avais pensé au détour d'une insomnie. De toute façon, j'ai toujours été persuadée qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas chez moi. Et à force qu'on me dise que tout va bien, j'ai fini par me dire que ce qui ne va pas chez moi, c'est psychologique.
Je me dis que c'est à cause de la maladie de mon frère, que j'ai sûrement mal vécu l'attention qu'il a eue…
Fin 2020, mon conjoint fait un infarctus sans trop de raisons. Je gère tout. Les papiers, l'hospitalisation (où je ne peux pas le voir, toujours à cause du Covid), la maison etc. Ça crée un déclic chez nous. Après 9 ans, nous décidons de faire un enfant en février 2021. En mai, le test de grossesse est positif.
Je suis vite épuisée, épuisée au point de m'endormir à 19h, je mets ça sur le compte de la grossesse.
Les impatiences reviennent dans les jambes la nuit, mais pareil, c’est la grossesse me dit-on. Je suis vite en arrêt, bébé ne grossit pas assez au second trimestre. Mais après un mois de pause, il a rattrapé son retard. Je travaille jusqu'en décembre 2021, mon fils naîtra le 26 janvier. Accouchement difficile, il regarde le ciel et ne veut pas tourner. Il s'écoulera 26h20 entre la rupture de la poche et son arrivée. J'ai eu la péridurale au bout de 20h de travail. J'ai hurlé que j'avais pris une énorme décharge électrique à droite et que l'anesthésie ne marchait pas. On me dit que ce n'est pas vrai et l'anesthésiste s'en va. Je ne le reverrai pas. Je pleure. La sage-femme me demande si c'est à cause des contractions que je ne devrais pourtant plus sentir. Je lui explique que les contractions je les sens, mais ce n'est pas ça qui fait le plus mal, c'est dans mon dos. 3 zones me brûlent atrocement sur la colonne, je n’en peux plus, je demande à ce qu'on me tue. Elles prennent ça pour une phase de désespérance.
Ce n'était pas le cas.
Je reprends le cours de ma vie, avec un petit bébé en plus.
Deux mois après, mon œil recommence. N'ayant plus confiance en cette ophtalmologue, j'en trouve un autre et parviens à avoir un rendez-vous en urgence après des négociations serrées avec la secrétaire.
Il voit l'uvéite, me donne un traitement et au revoir. Il faut dire que c'était vraiment un petit rendez-vous rapide entre deux patients. J'ai pensé à la sclérose en plaques et repense à ce que m'avait dit ma collègue. Mais je ne suis pas médecin. Je n'ose pas l'évoquer devant un professionnel de santé. Pourtant, cette maladie m'a toujours intriguée, je ne sais pas pourquoi. Comme si elle m'attirait.
Je continue ma vie, avec mes douleurs et les vagues de brûlures régulières. C'est devenu normal. Je me dis que je n'ai plus 20 ans et que mon corps a pris un sacré coup avec les 22 kg de ma grossesse.
Avril 2023 : j'ai comme des coups de couteau dans le bras gauche. Sûrement un mauvais mouvement au travail. Je me douche, je ne sens plus le côté de ma poitrine jusque sous l'aisselle. Quand je me touche, ça semble engourdi comme une anesthésie. On dirait ma jambe pendant les « cruralgies ». J'attends de voir, mon conjoint et moi sommes en séparation, sa dépression ayant eu raison de nous. J'ai d'autres chats à fouetter.
Mai 2023 : la zone s'est étendue. Ça descend et me prend tout le côté gauche du torse. Ouf, bientôt les vacances début mai. Le 3 mai, je suis invitée à une fête. J'en partirai à minuit, épuisée, ne sentant plus du tout la partie gauche de mon corps, à part quand elle me brûle, jusqu’au pied. Je suis en vacances, je consulte un nouveau médecin en espérant qu'on ne me balade pas. Il m'envoie lui aussi chez les kinésithérapeutes et me fait faire une radio du dos. Ma scoliose n'a pas bougé. On se revoit la semaine d'après avec les résultats. Il n'est pas content de ne rien trouver et m'envoie faire une IRM au niveau du dos. Banco !
Je suis dans la petite pièce pour me rhabiller. Ça toque. Je sais. Un médecin qui vient vous voir alors que vous êtes en train de vous rhabiller ça n'augure rien de bon.
« Bonjour, je suis le docteur P. J'étais dans la salle d'imagerie quand le manipulateur vous faisait passer votre IRM, je m'occupais d'une autre patiente, mais voilà, j'ai vu des choses, ce qu'on appelle des hypersignaux… ».
Je prends mon courage à deux mains :
- « Oui, je suppose que c'est la sclérose en plaques ? ». Elle est surprise.
- « Euh… Ça pourrait y ressembler… On vous en a parlé ? ».
- « Oui, avec mon médecin on l'a évoquée ». Je mens. Elle y croit, elle parle alors plus librement.
- « Je vais faire en urgence votre compte rendu et je vais vous envoyer sur un autre hôpital avec un meilleur matériel pour faire une IRM cérébrale pour pouvoir avancer ou non cette hypothèse, en le croisant avec votre dossier médical ». Et voilà, je l'ai, mon diag’ !
Je sors tremblante, j'appelle mon frère. Je ne sais pas à qui en parler. On n’a jamais été très proches, mais ça reste mon petit frère : qui sait ce que ça fait de recevoir ce genre d'infos et de vivre avec une maladie. Il a les mots pour me rassurer. Le coup de « flip » n'aura duré en tout que 10 minutes. Je me raisonne : la peur n'évite pas le danger, si c'est la sclérose en plaques, il vaut mieux qu'elle soit connue et traitée, plutôt que de faire l'autruche et d'y laisser toutes mes plumes. C'est une évidence.
Ça y est, c'est déjà accepté.
S'en suivent IRM cérébrales, ponctions lombaires, et le verdict tombe. Je n'ai aucune réaction. Je souris même. Ça interpelle la neurologue qui commence à penser que je suis en état de choc. Je lui raconte tout ce que vous venez de lire.
Elle comprend alors ma réaction, voit que je me suis déjà bien renseignée sur le sujet et que « m'enrouler de papier bulle » ce n’est pas avec moi, que ça va marcher. Moi, je veux du concret, qu'elle me parle comme à un collègue sans états d’âme, ni pincettes. Elle comprend et reconnaît même que c'est plutôt sympa de pouvoir expliquer d'un point de vue plutôt médical les choses. J'ai même le droit de regarder mon propre liquide céphalo-rachidien et on m'explique comment on fait une ponction lombaire, on parle traitement, etc.
J'ai rendez-vous avec une infirmière spécialisée dans la sclérose en plaques. J'y vais à reculons, avec la trouille d'être infantilisée, prise avec des pincettes, etc.
Elle comprend finalement très vite que j'ai une vision particulière de la maladie.
Un patient atteint de la sclérose en plaques ne combat pas la maladie. Les chercheurs la combattent avec des actions tangibles et palpables de recherche. Un malade, il serpente autour de la maladie. Je ne peux pas frotter comme une malade pour enlever des taches avec la serpillère… Je prends un nettoyeur vapeur ! Finalement j'ai le même résultat qu'un non-malade : j'ai un sol propre.
Prendre l'itinéraire bis n'enlève pas le mérite du trajet et n'en modifie pas l'arrivée. À quoi ça sert d'avoir peur ? De refuser ? Est-ce qu’angoisser fera que je marcherai plus longtemps ? NON.
Est-ce que faire l'autruche va m'éviter une poussée ? NON.
On n’a pas l'énergie pour se battre, alors autant l'économiser en serpentant autour des problèmes. L'arrivée à notre but n'en sera que meilleure.
Je suis finalement mise sous Kesimpta® en novembre 2023. Je me fais moi-même mes injections, ça prend 30 secondes. Le même mois, je fais une terrible poussée qui me crée une névralgie du trijumeau. On essaie plein de choses pour diminuer ça. Rien ne marche. Ni le Lyrica®, ni Laroxyl® ni Neurontin®. Ça finit par passer au bout de plusieurs mois. Une des infirmières soutient que c'est psychologique et que c'est la non-acceptation de la maladie… Ma neurologue intervient en disant que ça pouvait arriver mais que là ce n'est pas du tout mon cas et que si je dis que j'ai mal, c'est que j'ai vraiment mal et que le stade de l'acceptation était bien fini chez moi. Au final j'ai un suivi « léger », car elles ont compris que je veux du concret, factuel et rapide : j'ai des séquelles, essentiellement à la jambe droite, ainsi que des troubles de l’équilibre. Niveau cognitif, ça « déconne » pas mal. Mémoire, concentration, logique. Je ne veux pas de « peut-être que… éventuellement… » C'est « oui, ça va revenir » et si c'est le cas, on se magne à faire le nécessaire. Ou « Non, c'est cuit » et dans ce cas je vais trouver une combine pour contourner la chose.
Pas d'ETP* (dieu que c'est pénible à mes yeux) qui m'explique quoi manger, quand dormir… Il n'y a pas mieux pour savoir de quoi j'ai besoin que MOI-MÊME !
Il y a une forme d'injonction à mal le vivre, à ne pas accepter, à avoir besoin d'une aide standardisée. Mais non, je le dis et le redis, certains d'entre nous ne se demandent pas « Pourquoi moi ? », ne dépriment pas…
Pour tous ceux ayant été en errance comme moi, c'est un SOULAGEMENT de mettre un nom sur nos maux et d'être enfin entendus.
On a aussi le droit de bien vivre notre sclérose en plaques, de ne pas se dire qu'on la combat mais qu'on fait avec, c'est tout aussi recevable et légitime que ceux qui ne l'acceptent pas, parce qu'on est tous différents.
On dit que c'est la maladie aux 1000 visages, mais on oublie aussi que l'être humain a 1000 visages… Et que la réaction de l'un ne sera pas forcément la réaction de l'autre et je remercie le personnel médical de mon hôpital de suivi, de ne pas rester bloqué sur les cas d'école ou l'annonce d'une maladie qui met le patient en mauvaise situation et de ne pas oublier que chacun est unique (et de m'avoir laissé jouer avec ma fiole de LCR** (parce que tout le monde ne peut pas se vanter d'avoir vu son propre LCR mdr) ».
Par Amélie.
*Éducation Thérapeutique du Patient.
** Liquide Céphalo-Rachidien.
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Comme je suis d’accord avec toi !!
On est pas tous fatalistes ni plein d’optimisme. Nous sommes des humains ! Unique, particulier !
Je suis en plein examens pour confirmer ou infirmer une SEP (mais j’en suis comme toi, presque sure , pour ne pas dire complètement sure !) et on me regarde déjà comme une malade amoindrie…
Pourtant j’ose le dire je ne suis pas stressée, pas angoissée, ça fait des années que je traîne ça. A plus ou moins grande échelle et plus ou moins de douleur.
Les semaines, les mois passent, la vie vient se greffer la dessus, c’est NORMAL pour moi.
J’ai une 2 autres enfants depuis le début des symptômes , je me dis que ça a été à chaque fois « 9 mois d’une bulle » il parait que ça « protège »…
Comme toi J'attend avec impatience les résultats !
Si ça n’est pas ça et bien tant mieux ! Si c’est ça TANT MIEUX ! Puisqu’en fin comme toi je pourrai mettre une vérité sur tous ses maux.
Merci pour ce témoignage ! Ça dynamise ! 😊