La sclérose en plaques,
c'est vous qui en parlez le mieux.
Le 23 déc. 2019

La sclérose en plaques, par Pascal.

« J’étais le sabre, ma sclérose
en plaques, une bête immonde
que je venais de décapiter ! »

Conjuration.

« Mes paupières étaient bien lourdes en ce matin de juin, un peu comme si elles avaient été lardées de plomb suite à un abus d’alcool qui vous ouvre le crâne, vous donnant l’impression que votre matière grise (si tant est que vous en soyez pourvu à minima) s’en est vue indubitablement amputer d’une partie…
Sauf que, rien, walou, que nenni !
Aucun alcool n’avait corrompu mon corps ou mon cerveau.
J’avoue, l’après-midi, j’avais fumé un peu devant le mythique Goo des Sonic Youth, groupe phare de l’underground new-yorkais des 80’s et 90’s. 
Rien de bien méchant, si ce n’est un sacré bon trip visuel et auditif !
À chacun ses plaisirs…

La veille au soir, avec ma belle, nous avions apprécié une conférence sur la métrologie des pyramides de Gizeh qui offrait une vision hétérodoxe à l’égyptologie classique.
Aristote a écrit : « Le doute est le commencement de la sagesse ».
Ceux qui me connaissent bien, savent mon goût modéré pour certaines versions officielles…
D’aucuns seraient quand même tentés de dire que cela peut-être aussi indigeste qu’une outrance de rhum frelaté…
À l'évidence, la seule explication valable aux maux qui m’assommaient déjà était limpide comme du cristal de Bohême, aussi cruelle que les coups reçus par un flagrum (fouet) du temps de la Rome antique, tenait en deux mots maléfiques : maladie dégénérative.

Comme tous les matins, peu après l’aube, mon corps, pas vraiment vivant mais pas complètement mort, me rappela sans équivoque l’implacable réalité de ma sclérose en plaques.
Dans 1984 d’Orwell O’Brian dit à Winston : « Si vous désirez une image de l’avenir, imaginez une botte piétinant un visage humain… éternellement ».
Ce matin-là, dans mon esprit, ma sclérose en plaques se substituait à la botte !
Aussi glacial, qu’effrayant, mais souvent tellement vrai. 
Il était près de 6h30, Jupiter que je n’avais pas manqué de saluer la veille au soir, avait laissé sa place à un ciel bleu lézardé épandant sans retenue une parfaite volupté pour qui eut su en saisir la formidable teneur. 
Un morceau de lune d’un blanc pâle complétait ce tableau presque homérique.
En cet instant, malgré le spectacle me faisant face, je n’eus pas la force d’avoir la moindre envie.
L’analyse peut permettre de temps à autre d’accepter l’ignominieux, mais elle peut et là réside un paradoxe, aussi nourrir la bête, le monstre qui sommeille en chacun de nous.
Incapable du moindre arbitrage, écrasé de fatigue, l’âme exsangue à l’instar de mon corps, je m'endormis dénué de toute illusion, le cœur sinon brisé, largement grisé par ce sang noir d’encre qui coulait dans mes veines.

Une petite heure plus tard, le ciel avait perdu sa pâleur minérale, sa lumière plus prégnante contracta mes iris. 
Le reliquat de sommeil, qu’il me fut accordé non pas tant par envie mais par une impérieuse nécessité, se montra de façon surprenante fort salvateur.
La probabilité, non nulle, que je rêvasse à quelques simples bonheurs qui me sont désormais interdits, comme marcher, courir ou surfer, ne fut sûrement pas étrangère à ce mieux-être. 
Ce deuxième réveil, en effet sonna comme une petite renaissance, comme si cette mon âme inféodée au néant une heure plus tôt fut baignée dans un magistère revigorant, offert par la déesse Panacée voulant conjurer les troubles qui m’accablaient.

Quelques instants plus tard, buvant non sans plaisir mon café, un désir profond m’envahit.
Tirant sur ma vapoteuse, j’acquis la certitude qu’il fallait sortir, profiter de cette matinée s’annonçant radieuse et le plus important à mes yeux, en profiter pour faire des photos, faisant fi des entraves physiques qui m’asservissaient.
Ce corps que j’abominais moins d’une heure auparavant serait quoi qu’il m’en coûte, mon sésame, mon précieux, il gommerait ma veulerie si prégnante parfois.
Mon hôte si violent, qui blasphème, saccage mon corps chaque jour depuis vingt ans resterait ce matin à quai.
En cet instant, avant le moindre accomplissement, j’étais heureux, car au fond de moi je savais que je l’avais battu. 
De la victime que je fus une heure auparavant, j’étais devenu bourreau, bourreau de cette satanée sclérose dont le dictionnaire est dépourvu d’épithète assez fort pour la qualifier. 
J’ai lu dans un recueil de citations (encore), un proverbe perse du 19ème siècle disant : « Le corps de l'homme doit être considéré comme un fourreau dont l'âme est le sabre : c'est le sabre qui tranche, et non le fourreau. »
J’étais le sabre, ma sclérose en plaques, une bête immonde que je venais de décapiter !
Sûr de mon fait, après m'être apprêté, je claquais la porte de mon appartement, mon sac photo en bandoulière.

Après une manœuvre délicate, bien calé dans mon fauteuil, je délaissais l’ascenseur gris métallique et son odeur légèrement vinaigrée. 
Bien qu’il fut relativement tôt, un air déjà très doux m’enveloppa immédiatement, mon périple s’engageait sous les meilleurs auspices.
Je décidai d’aller dans l’hyper-centre, là où le monde est le plus nombreux, déterminé à faire un portrait au hasard de mes pérégrinations.
Un attendu basique, mais qui a la qualité de satisfaire mes inclinaisons photographiques, qui sont minorées de fait. 
Pour autant, je ne les considère pas comme des accessits, bien au contraire.
Je pense avoir su briser les chaînes de la tutelle que la maladie m’impose quand je fais de la photo ou du moins avoir su composer avec.
De facto, quand ma sortie est réussie, cela me procure encore plus de satisfaction.
Point de vanité dans ce postulat, juste un constat simple ; la difficulté d’une entreprise peut rendre son succès exacerbé. 
Allant de-ci, de-là, j’eus loisir de prendre quelques clichés des gens, la rue, la vie. 

Une petite heure s’écoula. 
Je savais que j’avais rempli ma carte numérique plutôt avantageusement jusqu’à présent, mais sans avoir fait la photo qui vraiment fait la différence, celle qui d’instinct te colle un sourire mental, pousse ton taux de dopamine vers les sommets.
Quoi qu’il en fut et pas découragé pour autant, je continuais tranquillement poussé par mon fauteuil, ma balade vers la place Charles de Gaulle, où trône fièrement depuis près de deux mille ans le Temple d’Auguste et de Livie.
Tout autour de l’édifice romain, les commerces sont légion.
Les terrasses des cafés encore clairsemées en cette heure déclenchèrent en moi une envie, non pas impérieuse mais tout au moins vivace, de prendre un petit noir.
Attablé, je commandais finalement un allongé. L’abus n’exclut pas l’usage dit-on…
Mon appareil en main, l’œil et l’oreille au guet, je pris quelques photos supplémentaires ; un homme d’un âge certain tirant frénétiquement sur sa cigarette, des passants, et des touristes contemplant l’histoire leur faisant face.
J’y restais une bonne demi-heure.

Contenté à défaut d’être complètement satisfait, il fut temps pour moi puisque je ne pouvais pas comme tout à chacun le maitriser, de reconquérir ma demeure.
C’est en contournant le temple par sa gauche que je la vis, fracture de l’œil immédiate !
Une très jolie jeune femme posée sur l’un des bancs en béton prévu à cet effet, lisait tranquillement.
Je me dis derechef que je ne pouvais pas la laisser filer sans tenter de la photographier, je m’en serais vraiment voulu.
Je me présentai à elle, lui expliquant simplement que je faisais des portraits de rue et que je la trouvais très jolie, inutile de pérorer… 
Affable et visiblement flattée, elle accepta sans réticence ma proposition. Avec gentillesse, elle se déplaça pour se mettre à l’ombre pour que je profite d’une lumière plus douce et flatteuse.
Mon office terminé, nous échangeâmes quelques instants, puis je la remerciai pour sa gentillesse et le temps qu’elle venait de m’accorder en lui donnant ma carte pour que je puisse lui envoyer ses portraits.

Rentrant chez moi, je me félicitais d’avoir laissé ma sclérose en plaques au dixième et dernier étage de mon immeuble et vaincu mon incurie matinale… »

Par Pascal. (Lire son dernier témoignage).

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7 commentaires
02/01/2020 à 11:47 par Pascal
Merci à Arnaud d'avoir partagé mon texte et vous toutes et tous pour vos commentaires.
Tout le meilleur pour cette nouvelle année.
Bien à vous tous,

Pascal

27/12/2019 à 13:06 par Olivier
Tu es le sabre et le poète, bro. Ne l'oublie jamais, ne renonce jamais.
Très beau texte, que je partage immédiatement.

Olivier, for ever your brother in arms

24/12/2019 à 10:32 par Christine
Toujours aussi sublime Pascal !!! ce que tu écris est intense! j'aimerai avoir ta plume mais j'en suis bien loin malheureusement! Je te souhaite un joyeux Noël pour toi et les tiens !

23/12/2019 à 14:45 par Christophe
L'art du mot,
Tu nous a donné tant d'images (d'instantanés) à travers eux.
Moi aussi j'ai un désir presque viscéral de trouver un moyen de créer.
Mais je me perds, et je m'enlise.
Je ne perds pas courage car je sais que le soleil se lèvera encore demain.
Merci beaucoup pour ton merveilleux témoignage.
Que ces fêtes de fin d'année te soient bénéfiques,
Avec tous mes meilleurs voeux pour cette prochaine année qui pointe son nez.

23/12/2019 à 11:51 par Michel
Vous m'avez perdu un instant et retrouvé , vous en train de photographier une dame, moi en train d'oublier ma sclérose en imaginant à qui pouvait ressembler la belle dame...
C'étais le but?
Atteint.
Bonne fête de fin d'années

23/12/2019 à 11:48 par Bénédicte
Beaucoup de poésie, j'ai bien apprécié...surtout dans notre monde actuel....
belle fin d'année, et surtout bonne année à venir, continuez l'enchantement.........
Bénédicte

23/12/2019 à 11:40 par Christine
Alors là, c'est magnifique, envoûtant presque la façon dont vous écrivez.
Quel plaisir de vous lire, de vous voir jouer avec ces mots que tout un chacun n'utilise plus, avec ces références mythologiques...
Rien n'est plus riche, illuminant, que ces tout petits moments, ces mots entendus ou lus, ces musiques qui nous parlent...
La douceur est en toutes choses ; il suffit de s'y arrêter pour la sentir.
Je vous souhaite d'autres belles rencontres avec ou sans votre appareil photos.
Douce fin d'année à vous, Pascal.
Christine

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