« Bonjour,
Cette histoire rocambolesque commence en août 2022. Je suis alors un jeune homme de 22 ans, en classe de terminale, bon élève, personnalité légèrement atypique qui a réussi à reprendre le chemin des études après six ans de déscolarisation (rien que ça !). Ce jour-là, alors à la salle de musculation, je remarque une hypoesthésie (perte de sensibilité) dans mes deux jambes alors que je m'entraîne sur la presse horizontale. Ma force est toutefois exactement la même, donc je ne suis pas trop inquiet. Tout de même, je décide de consulter ma généraliste, qui me dit que c'est sans doute dû au stress. Et bien que le stress puisse parfois avoir des conséquences physiques importantes, je lui demande tout de même s'il y a lieu de faire d'autres examens, ce à quoi elle répond qu'il n'y a aucune inquiétude à avoir. Je laisse donc couler et un beau jour, je remarque que l'hypoesthésie s'est complètement résorbée d'elle-même. Et c'est tout. La vie continue.
Nous sommes ensuite en décembre 2022. Alors que j'essaye d'attraper mon bus, je me rends compte que je n'arrive presque plus à courir et je manque de tomber. Plus tard dans la journée, je suis en retard à un cours de mathématiques et je cours dans les couloirs. Je tombe lourdement sur le sol, les élèves autour de moi me demandent si ça va, je leur réponds que oui, qu'ils ne s'inquiètent pas, les remercie pour leur inquiétude et je me précipite à mon cours. Je sens que je vacille un peu dans ma démarche, que je n'arrive pas à marcher parfaitement droit. J'en parle, on me dit qu'il faudrait sans doute prendre rendez-vous avec ma généraliste pour en avoir le cœur net. Le jour même, je prends donc un rendez-vous, mais hélas, il faut alors attendre deux semaines avant d’avoir une consultation, en raison d'une grève des généralistes. Avant que je puisse consulter, les symptômes disparaissent d'eux-mêmes. Tête en l'air comme je suis, j'oublie d'honorer mon rendez-vous, ce pour quoi je m'excuserai auprès d'elle plus tard.
Puis, le moment fatidique arrive en mars 2023. Alors que je passe mes épreuves de baccalauréat, je constate que je suis submergé par une immense fatigue et des difficultés importantes à me concentrer. Heureusement, cela ne m'empêche pas de les réussir (19/20 en maths et 18/20 en physique). Plus inquiétant : deux jours plus tard, dès que je me réveille, je constate que je n'arrive presque plus à contracter mes ischio-jambiers du côté droit et je marche en boitant ; mon pied droit retombe lourdement et bruyamment sur le goudron à chaque pas, indiquant une faiblesse dans mon mollet également.
C'est là que je décide de faire des recherches sur Internet. Je me rends rapidement compte que la sclérose en plaques correspond parfaitement aux trois épisodes que j'ai vécus et je suis submergé par la panique. Étrangement, la première chose qui me passe à l'esprit est un rapprochement complètement vide de sens entre le mot « plaques » et les plaques amyloïdes caractéristiques de la maladie d'Alzheimer. Ce genre de réflexions irrationnelles et désordonnées dominera mes pensées jusqu'à ce que j'acquière une meilleure compréhension des mécanismes de la sclérose en plaques. Le lendemain matin, à 9 heures, j'ai une dernière épreuve de baccalauréat : bien que je la réussisse (19/20), je ne pouvais pas penser à autre chose que la sclérose en plaques tout le long de celle-ci et je travaillais machinalement, tout en ne pouvant pas me débarrasser de cette folle panique. La terreur était si grande et insupportable que, immédiatement après être sorti de la salle, je me rends aux urgences de l'hôpital privé d'Antony, où on me fait faire une IRM cérébrale après quatre heures d'attente. Très rapidement après, les résultats me sont donnés : une maladie démyélinisante inflammatoire est probablement à l'origine de mes symptômes. Une hospitalisation est nécessaire pour faire des examens approfondis.
Par chance, je suis hospitalisé le jour même à Saint-Joseph (Paris 14e). Dans le métro, compte-rendu à la main, je me décide à l'ouvrir et entrevois, noir sur blanc, « multiple lésions ». Des lésions… dans mon cerveau ? Je n'y comprends rien, mais ce mot me glace d'effroi. J'ai alors sincèrement peur pour ma vie, si bien que je n'arrive même pas à poursuivre la lecture du compte-rendu. Je téléphone alors à la copine de mon père, anesthésiste réputée, qui me donne un excellent conseil : « Une bonne mentalité constitue un tiers du combat contre la maladie. » Je n'oublierai jamais ces mots, et me tiens à les appliquer une fois à l'hôpital : tout le long de mon séjour d'hospitalisation, je réprime toute pensée liée à la sclérose en plaques du mieux que je peux, et m'efforce de garder une attitude complètement stoïque. Cette attitude me demande un effort psychologique que je n'aurais jamais pensé pouvoir fournir face à une situation aussi incertaine. Je ne me fais aucun espoir, je refuse de craquer, je décide de ne faire qu'une seule chose : attendre. En attendant, je me divertis du mieux que je peux depuis mon lit d'hôpital, avec des films, de la musique et du travail.
Après toute une panoplie d'examens moteurs et une prise de sang, on m'explique ce qui se passera pendant cette semaine. Ensuite, je suis laissé seul dans ma chambre d'hôpital pour une soirée des plus difficiles que j'aie eu à vivre de toute ma vie, mais moins que les sept suivantes. Le lendemain même, à dix heures du matin, un brancardier vient me chercher pour mon IRM médullaire et me fait enfiler une camisole. Il me fait m'asseoir dans un fauteuil roulant et m'accompagne ainsi au service d'imagerie. Bien que court, ce trajet renforce mon sentiment d'impuissance et un désespoir s'installe. « Comment en suis-je arrivé là ? » me dis-je. Et pour cause, deux jours plus tôt, je menais une belle vie, que j'avais réussi à reconstruire après une longue période de déscolarisation et d'isolation sociale.
Une fois au service d'imagerie, on me dit qu'il y aura deux heures de retard. Hélas, je n'ai ni livre, ni téléphone avec moi pour me divertir de mes ruminements angoissés. Je reste assis dans mon fauteuil, impuissant. C'est alors qu'une dame d'une soixantaine d'années, assise pas loin et en larmes, répond à un appel en roumain et dit à son interlocuteur que sa mère de 94 ans s'était soudainement écroulée devant elle, vingt minutes plus tôt, qu'elle avait probablement fait un AVC. D'origine hongroise et roumaine, j'étais sans aucun doute le seul dans la salle à comprendre sa conversation, qui me fait prendre conscience du désespoir qui règne dans les hôpitaux, agrégats des conséquences dramatiques de l'injustice de la nature sur des individus qui ne souhaitent que vivre et preuves du combat incroyable que mène l'homme face à la fragilité de la vie.
Enfin, me voilà à passer l'IRM ; celle-ci dure 40 minutes, le double du temps prévu. Je suis ensuite raccompagné dans ma chambre. Deux heures plus tard, un médecin vient avec deux internes pour une ponction lombaire. Après deux ou trois piqûres ratées par ces derniers, leur chef prend le relais et me la fait du premier coup, bien qu'à un moment, il semble toucher par inadvertance ma moelle épinière, puisque ma jambe gauche se retrouve à voler en l'air d'un coup de façon complètement involontaire. Expérience terrifiante, mais heureusement indolore. Curieux, j'en profite pour constater la couleur blanchâtre et l'anodine transparence du fameux liquide céphalo-rachidien prélevé, en contraste avec son rôle crucial dans la biologie humaine.
Cette ponction lombaire me laisse une affreuse migraine, ainsi qu'une douloureuse hyperacousie, au point que tout dialogue m'est physiquement insupportable à entendre. Je retournerai finalement à l'hôpital deux semaines plus tard pour un « blood patch », procédure qui consiste à colmater la brèche de la barrière hémato-encéphalique provoquée par la ponction, pour restaurer une pression adéquate du liquide céphalo-rachidien, dont la perturbation est souvent à l'origine de ces intenses céphalées.
Ensuite, la biopsie salivaire le lendemain. Une interne vient me charcuter la lèvre inférieure pendant cinq minutes sous anesthésie locale, sous la supervision de son collègue, à chercher les plus grandes glandes salivaires à prélever comme si c'étaient des filons de diamants sur Minecraft : « Tiens, y en a une belle, là ! ». Une expérience des plus désagréables, avec pour conséquence ce qui s'apparente à un immense aphte, au départ très sanglant, qui prendra deux semaines à se résorber complètement.
Le jour même dans la soirée, celle qui sera ensuite ma neurologue référente vient me voir pour discuter des résultats. Au vu des hypersignaux cérébraux et médullaires, de la charge lésionnelle importante, ainsi que de la présence de bandes oligoclonales dans mon liquide céphalo-rachidien, elle me confirme que j'ai une maladie auto-immune démyélinisante du système nerveux central, très probablement une sclérose en plaques. Ma réaction immédiate et naturelle à ces trois mots : « Oh p****n ! ». Je ne connais cette maladie que par sa terrible connotation du fameux fauteuil roulant. En réponse, ma neurologue prend un ton confiant et, pleine d'empathie professionnelle, m'assure que la maladie est aujourd'hui hautement traitable, qu'elle ne changera pas significativement la qualité de ma vie. Elle me prescrit du natalizumab (Tysabri®), traitement considéré comme hautement efficace contre les scléroses en plaques rémittentes (j'en suis actuellement à ma cinquième perfusion mensuelle en hôpital de jour, ma première sérologie pour le virus JC s'est révélée négative et je tolère bien le traitement malgré une légère arthralgie (douleur articulaire) au genou gauche). Elle m'explique en détail les bénéfices importants de l'activité physique et l'effet délétère du tabagisme sur le pronostic, me sensibilise sur le phénomène d'Uhthoff, etc…
Dix minutes plus tard, je suis seul dans ma chambre. Jusque-là complètement stoïque, je suis crispé et psychologiquement épuisé. J'appelle immédiatement Amanda, une très bonne amie à moi, qui est alors dans le RER. Forcément, je fonds en larmes au moment où je lui annonce le diagnostic, et elle aussi en retour. Preuve d'amitié et d'humanité assez marquante. Rebelote avec ma mère lorsqu'elle vient me voir. Je suis terrifié mais soulagé de savoir ce que j'ai : c'est la première étape du combat que je m'apprête à mener. Alexandre, mon meilleur ami depuis 9 ans, vient me voir, lui aussi, dans la soirée : je fume avec lui ma toute dernière cigarette ce jour-là.
Au cours des cinq prochaines journées, on m'administre des bolus de Solumédrol® en intraveineuse, à raison de 1 gramme par jour. Je récupère très rapidement ma mobilité physique et sors ensuite de l'hôpital, complètement bredouille et déboussolé. Je constate plus tard une légère paresthésie intermittente dans la jambe gauche, qui persiste encore à ce jour.
Les deux mois qui ont suivi ont été les plus difficiles de toute ma vie, pas une seule heure ne passait sans que je ne pense à la sclérose en plaques, et je passais mes journées à faire des recherches pour mieux comprendre la maladie et ses mécanismes sous-jacents, ainsi que les perspectives thérapeutiques. J'apprends à déchiffrer les publications scientifiques, j'acquiers des notions de statistiques, etc…
Mon humeur se stabilise progressivement, les hauts et les bas deviennent moins intenses et moins fréquents, mais ma motivation reste très basse. Les cours me permettent de m'évader, mais je suis moins investi qu'avant. Ayant déjà eu une dépression à 15 ans, j'en reconnais rapidement les symptômes précurseurs. Je reprends donc contact avec un psychiatre que je voyais il y a longtemps. À la fois content et désolé de me revoir, il me propose de me prescrire 20 mg de Paroxétine® par jour (un antidépresseur), ce pour quoi je le remercie. Encore aujourd'hui, je continue de prendre la Paroxétine®, il ne me paraît pas urgent de m'en défaire, puisque je la tolère très bien sur le plan symptomatologique.
Dans la même période, je me remets à l'escalade après qu'un ami me propose de l'accompagner. Aujourd'hui, j'ai l'impression que ce sport me procure une immense satisfaction et une confiance en moi. Elle me permet de rencontrer de nouvelles personnes incroyables. De nature plutôt taciturne et introvertie, je constate que je suis bien plus avenant lorsque je grimpe : j'aborde des inconnus pour leur donner ou demander des conseils, pour réussir tel ou tel bloc, et on se raconte nos vies. Je m'y sens un peu comme chez moi, j'espère pouvoir continuer à en pratiquer longtemps. Je fais trois séances par semaine, de 20 heures à minuit, avec une pause d'une heure en terrasse au milieu, avec mes partenaires grimpeurs.
Voilà mon histoire. Je ne sais pas de quoi est fait l'avenir, mais j'espère pouvoir commencer à profiter de la vie, vaincre mes peurs et réussir à accepter l'épée de Damoclès qu'est l'imprévisibilité de la sclérose en plaques. J'ai beaucoup d'espoir pour les futurs traitements, ma plus grande peur est celle d'une sclérose en plaques progressive, mais je suis confiant.
Merci infiniment de m'avoir lu, je vous souhaite une excellente journée !
Ensemble, je suis convaincu qu'on surmontera cette maladie, on ne la laissera pas nous empêcher de vivre pleinement, de prendre soin nous-mêmes, de nos familles, et de vivre des expériences mémorables pleines de bonheur. »
PS : Trois jours avant que ce témoignage soit posté (vendredi 6 octobre 2023), j'ai eu ma première IRM cérébrale de contrôle. Bonne nouvelle : elle a montré une stabilité des lésions. Il semblerait donc que le Tysabri® fonctionne bien pour l'instant. À confirmer avec l'IRM médullaire que je ferai prochainement, mais les choses semblent être sur la bonne voie !
Par Gabriel.
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C’est génial que tu arrives à t’épanouir dans le sport et découvrir une nouvelle facette de ta personnalité c’est cool!
Je t’envoie pleins de forces merci pour ton témoignage