LA MARCHE DU CANARD
« Coin-coin ! Écartez-vous ! Laissez-moi un peu de place !
Jambes écartées au point d'occuper toute la largeur du trottoir, je me fraie un chemin entre les autres piétons… Je marche comme un canard… Au risque de passer pour un individu manifestement ivre.
Je ne crains plus aujourd'hui ce jugement hâtif de ceux qui me croisent, car le fauteuil roulant est mon nouveau compagnon et, comme par magie, les piétons s'écartent à son passage, à l'image de Moïse divisant la mer Rouge.
Et le regard n'est plus le même. Du dédain suscité par l'ivresse sur la voie publique, je perçois aujourd'hui de la curiosité, de l'empathie, parfois de la compassion pas toujours bienvenue, pire encore, de la pitié… Mais le plus souvent, de la gentillesse.
Mes deux grandes roues et moi, ce n'est pourtant que la partie visible de l'iceberg.
Qui peut imaginer que j'ai une sclérose en plaques primaire progressive ? Laquelle traîne son cortège de symptômes imperceptibles et son chapelet quotidien de souffrances insaisissables pour celui qui ne les a jamais ressenties.
À l'automne 2015, j'allume un feu de bois dans le poêle qui trône au centre de mon habitation. Le pouvoir magique du feu qui s'allume, qui crépite, des premières flammes qui s'animent et cette odeur si caractéristique du bois sec qui se consume… Mais ce jour-là, je ne sens rien, strictement aucune odeur. Un test simple avec des parfums familiers confirme l'évidence : j'ai perdu l'odorat. Il reviendra spontanément plusieurs semaines plus tard.
Mais cet épisode marque résolument le point de départ de ce qui deviendra ma sclérose en plaques.
Rarement malade et peu enclin à courir les cabinets médicaux au moindre souci, s'est pourtant installée une spirale médicale me conduisant à consulter de toutes parts, l'anosmie n'étant que l'improbable prémisse de l'apparition désordonnée de symptômes curieux, fluctuants, inexpliqués et déroutants.
De la fatigue, confinant parfois à l'épuisement physique, que l'on cherche à mettre sur une journée de travail trop remplie ou sur une nuit de sommeil trop courte. Des vertiges obligeant à côtoyer des murs avec qui jamais je n'ai imaginé une telle proximité intime. La démarche qui change, les jambes qui s'écartent, un pied qui tarde à rejoindre l'autre. Puis des engourdissements dans les mains, les jambes, une sensation de ruissellement sur la cuisse gauche, des fourmillements qui apparaissent et disparaissent sans raison valable. Des épisodes de douleurs parfois insoutenables aux quatre membres.
Même si j'ai rencontré peu de médecins jusqu'alors dans mon existence, j'ai malgré moi attaqué un marathon de consultations, d'analyses médicales, de radios et scanners, à faire rougir le premier hypocondriaque venu. Et… Rien. Absolument rien d'anormal. Je suis en parfaite santé !
Au pire, comme me l'a expliqué mon médecin traitant, c'est l'approche de la cinquantaine ou les épisodes de chaleurs qui sont l'explication… Ou mieux encore : une dépression, associée à une fibromyalgie. Hypothèse dont le médecin finira par s'auto-persuader, ne jurant plus que par la prescription d'antidépresseurs pour conjurer le mal. Ordonnances que j'ai systématiquement refusées, jurant que ma santé et la perception que j'ai de mes troubles ne me semblent avoir aucun rapport ni avec la première hypothèse, encore moins avec la seconde.
J'avoue, bien malgré moi, avoir prêté le flanc à ce diagnostic, portant dans mes bagages le décès de l'aîné de mes deux enfants, Quentin, disparu à l'aube de son treizième anniversaire.
L'évidence est donc là : cette tragédie est à la source de tous mes maux, selon ce médecin que j'ai quitté pour d'autres, hélas parfois aussi peu perspicaces…
Une hospitalisation de trois jours à l'automne 2016 dans un service de médecine interne ne tire également aucune conclusion, ni même évoque le début du quart du commencement d'une maladie neurologique… mais permet cependant d'écarter toute pathologie d'organe. C'est toujours ça de pris… Je n'arrive pourtant pas à me résoudre à croire que mes symptômes puissent être liés à un trouble psychologique ou psychiatrique, même si beaucoup continuent de m'en convaincre.
La litanie d'examens s'est poursuivie au rythme où s'est accrue mon invalidité. Chaque jour apportant sa pierre à une idée qui avait déjà germé dans mon esprit… Et si c'était une sclérose en plaques ? Je m'étais risqué à avancer l'idée avec quelques médecins, notamment aux urgences de mon hôpital local, bien mal m'en a pris. J'ai déclenché soit des rires, soit une leçon bien appuyée sur le travail du médecin et la place du patient… J'ai donc gardé cela pour moi. J'avoue avoir aussi échafaudé d'autres hypothèses, lesquelles ne résistaient pas soit à d'autres examens, soit à l'arrivée de nouveaux symptômes.
C'est justement l'apparition de douleurs oculaires et la découverte d'un œdème papillaire qui viendra me donner raison. Mais à moi seulement pour l'instant, pas encore au corps médical !
C'est à cette occasion que j'ai pu aborder, à nouveau, la probabilité d'une sclérose en plaques avec l'ophtalmologiste qui, à l'écoute de mon histoire, m'annonçait qu'il y avait une conjonction de faisceaux concordant vers ce diagnostic.
Je ne suis pourtant pas encore au bout de ma peine…
Un second passage en médecine interne pour éliminer un rhumatisme psoriasique, me conduit vers un algologue en milieu hospitalier. Le médecin du service ayant estimé qu'il fallait que j'en finisse avec les examens en tous genres et qu'il fallait de toute façon traiter la douleur.
Cette consultation fut étonnamment différente des autres. Il m'a semblé percevoir chez ce jeune médecin de l'intérêt à m'écouter, à m'entendre…
Deux choses qui sont jusque-là totalement absentes dans mon parcours, à l'exception de mon nouveau médecin traitant qui prêtait une oreille attentive à mes recherches, à mes hypothèses et m'aidait à réaliser les examens nécessaires pour éliminer les unes après les autres certaines pathologies.
La discussion, l'examen clinique, les tests, l'ont rendu perplexe mais ont ouvert une voie tant espérée : un futur rendez-vous avec un professeur en neurologie.
Les deux neurologues rencontrés précédemment dans mon parcours avaient mené des examens normaux qui ne plaidaient en faveur d'aucune maladie. Je parle là d'électromyogrammes conformes à la norme. Sans autres examens cliniques. Ce rendez-vous inespéré était subordonné à une IRM cérébro-médullaire. Examen d'imagerie médicale compliqué pour le claustrophobe que je suis. J'avais déjà tenté à deux reprises, y compris dans une IRM à champ ouvert, sans succès, ma peur panique coupant court à la réalisation d'une séquence d'imagerie que je sais pourtant capitale.
C'est donc sous anesthésie générale que j'ai réalisé l'examen, offrant au passage des images d'une qualité rare, puisque ne bougeant pas !
Le compte rendu de l'IRM m'est envoyé par courrier, bien en amont du rendez-vous avec le Professeur en neurologie. À nouveau, certains points argumentent en faveur de ma thèse. Mais seul le spécialiste qui étudiera ces images pourra en tirer une conclusion.
En mai 2019, je soumets donc mon parcours, les images de l'IRM et une liste de symptômes, longue comme le bras au spécialiste. La pièce est vaste, l'écran de l'ordinateur est tourné face au neurologue et entre la table d'examen et le bureau se tient à distance discrète une interne en médecine. Il oriente alors l'écran dans la direction de l'étudiante et lui annonce : « C'est typique d'une sclérose en plaques ». Le sentiment qui m'envahit à cet instant est indicible : « Enfin ! Nous y sommes ! ». J'ai à peine le temps d'apprécier le moment qu'il rajoute : « Mais je n'y crois pas ! ». L'ascenseur émotionnel vient de faire un aller-retour vertigineux. Cela me laisse dans un état de sidération totale.
L'échange qui suit est tendu : j'évoque la nécessité d'une ponction lombaire pour confirmer ou infirmer son appréciation. Cet examen m'avait déjà été refusé lors d'un passage ancien aux urgences de mon hôpital local. Je suis à court d'arguments pour le convaincre, il semble avoir décoché la case sclérose en plaques. Je suis perdu. Anéanti. Des années d'errance médicale s'effondrent à nouveau. L'espoir placé dans ce rendez-vous se transforme en incompréhension.
Je le quitte hébété, mais l'entends dire : « On va quand même faire une ponction lombaire » et il m'envoie fixer le rendez-vous avec les infirmières du service d'hôpital de jour neurologique. Le résultat est tombé quelques jours plus tard : inflammation du système nerveux central, avec présence de bandes oligoclonales.
Fermez le ban !
J'entame ma troisième année de traitement par Rituximab®.
Mille fois j'aurais pu abandonner, cent fois j'aurais pu ingurgiter des antidépresseurs donnant raison à mon premier médecin traitant, mais aussi à un honorable professeur en rhumatologie respecté par ses pairs qui a, avec un aplomb inégalé et un examen clinique qui restera dans les annales de la médecine, décrété que j'avais une fibromyalgie.
Mille fois j'ai eu raison pendant cinq ans de persévérer, de chercher, de lire et relire la littérature médicale me rendant incollable sur certains sujets complexes de la médecine. Mille fois je remercie ma compagne d'avoir été et d'être là, présente comme jamais.
La sclérose en plaques primaire progressive demeure la moins courante. Celle aussi pour qui les traitements sont peu efficients. Mais si l'once d'un espoir d'éviter une aggravation trop rapide demeure, je ne regrette pas de saisir cette idée.
J'ai le sentiment d'avoir lutté contre un certain obscurantisme médical ou, dans tous les cas, contre une réelle absence d'écoute et de compréhension.
Aujourd'hui, c'est contre cette maladie cruelle, incurable mais réputée non mortelle, que ma lutte s'est engagée. C'est un combat de chaque instant, dur et épuisant.
Je suis un vilain petit canard, têtu et obstiné, le caillou dans la chaussure d'une médecine qui a encore des progrès à faire dans son écoute des patients…
"Celui qui déplace la montagne, c'est celui qui commence à enlever les petites pierres."
Confucius. »
Par MAB.
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J'ai personnellement beaucoup de symptômes semblables à une SEP.
J'ai plusieurs questions. Pour le diagnostic primaire, l'irm medullaire doit être injecté ou non ? Des IRM cérébrale et Médullaire pourraient être faussés sous cortisone à haute doses ? J'aimerais tellement savoir ce qui se passe dans mon corps.